Partage de poèmes de " Les chevaux de Tarkovski", Pia Tafdrup, éditions Unes, par Estelle Fenzy.
Elle s'est blottie
dans l'étau de mes bras
Les paumes du couchant
ont rassemblé
sa confiance éparse
p 56
Il m'a guidée
vers son refuge
Maison tiède
Sa tannière
de rosiers carmins
p 58
Je suis la dépossédée
Mon promis est mort à la guerre
j'étais encore fille
Je suis venue dans ce village
verser dans des jarres vides
mon chagrin.
Mais les jarres ont des fêlures
Jamais ne s'emplissent tout à fait
les vases de la dévastation
p 20-21
Est-ce la mort
qui est cruelle
ou bien l’éternité
sans toi.
Toi les yeux moi la voix
à nous deux presque
un visage
Viens
Dévorons-nous corps et crus
Avant que l’amour ne recule
et lèche
sa parole imprononçable
dans l’écuelle de la mémoire
Je suis cet animal blotti
dans tes odeurs fidèles
humain à s’y ouvrir
visage ventre et veines
histoire vraie de l’amour
sensible et discordante
l’entaille et la couture
Écrire et caresser - oui
de la même main
C'etait un bel été
de vacances en famille
Nous étions six
cousins cousines
six écureuils fébriles
à construire la cabane
sous les noisetiers
Les branches s'enlaçaient
chargées de fruits casqués
Nous étions
un peu sorciers
un peu sourciers
un peu chercheurs d'or
C'était le temps
D'avant nous-mêmes
La terre nous aimait
Nous chevauchions
L'échine bleue de la rivière
J'étais sourcière
Je regardais bouger
tes robes de vapeur
pendant que tu trempais
tes pieds dans l'eau
Les rives s'essoufflaient vite de
nos enjambées de joie
( revue " Décharge")
Je suis première dans l’aube.
Enfants se lèvent la figure en désordre. Mon regard lisse les joues
les traces d’oreiller.
Arc-boutée au petit chantier des jours, je prépare un ciment armé
d’amour : j’ai creusé les fondations dans des bouquets de trèfles.
Je suis mère.
La journée peut commencer.
Le vent se tait
la vigne frémit
Dehors ruisselle
un avant-printemps
de pâquerettes
de moineaux contents
Revenir de la nuit
comme
du bout de soi-même
Garder la mémoire
de ce qui a tremblé.
Je me sens chez moi soudain dans la lucarne entrouverte du soir
sur ce sentier de cordages
où amarrer demain
Il m'attendait de tous ses bras
J'y ai posé mes lézardes
mes érosions
ma liberté injuste.