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Citation de Charybde2


16 novembre 2022, Cap Canaveral, Floride. La fusée Space Launch System (SLS) de la NASA décolle devant une foule de 100 000 à 200 000 fans dont les caméras scrutent le pas de tir, après une première tentative avortée à l’été et plusieurs reports. Culminant à 98 mètres de hauteur pour 2 628 tonnes au décollage, le SLS est littéralement un monstre et, pour quelques mois encore, la plus grosse fusée du monde. Véritable relique de la Guerre froide (qui hérite des moteurs-fusées et des propulseurs à poudre de la navette spatiale, à la retraite depuis 2011), elle est une pièce essentielle du programme Artemis dont l’objectif est de ramener un équipage sur le sol lunaire d’ici 2025 – en plusieurs étapes. Un tremplin vers la planète rouge peut-être, et surtout un écho non dissimulé au programme Apollo, dont Artémis, fille de Zeus, est la soeur jumelle. A ce moment cependant, la mégafusée n’est pas encore habitée : le seul passager à bord de la capsule Orion (conçue par Lockheed Martin) qui la coiffe est un mannequin bardé de capteurs qui mesureront les effets de l’accélération au décollage et de la décélération lors de la rentrée atmosphérique, après 25 jours de mission dans l’espace et un survol de la Lune. L’événement prend indéniablement des allures de remake d’une séquence qui s’est étalée sur la décennie 1960, avec à son paroxysme les premiers pas de Neil Armstrong et Edwin « Buzz » Aldrin sur l’astre sélène le 21 juillet 1969.
On relève cependant au moins trois différences notables qui singularisent la période actuelle. D’abord, la concurrence n’est plus la même. La Chine s’est substituée à l’URSS, avec le programme Chang’e – double maléfique d’Artemis aux yeux des États-uniens – dont l’objectif est là aussi ambitieux : poser des « Taïkonautes » sur la Lune officiellement en 2029, pour le 80e anniversaire de la République populaire de Chine. Deuxième différence : la place des acteurs privés. Aux États-Unis surtout qui, en plus de la kyrielle de sous-traitants contribuant au programme, pourraient compter sur l’apport du vaisseau Starship de la société SpaceX pour mener à bien la mission vers la Lune. L’explosion en vol du vaisseau le 20 avril 2023 – date à laquelle il a volé au SLS le titre de plus grosse fusée du monde – laisse cependant planer un doute sur sa fiabilité : des concurrents pourraient le remplacer. Dans tous les cas, la NASA ne récolterait pas seule les fruits symboliques d’une nouvelle épopée lunaire, mais les partagerait avec certains protagonistes du « New Space », nouvelle phase de l’histoire du spatial, qui voit l’émergence d’acteurs privés supposés dynamiser un secteur encroûté. Troisième différence : il ne serait plus question de fouler la lune quelques instants – disons le temps d’une partie de golf – mais bien de s’y installer. D’y bâtir des bases, d’y miner des métaux, bref, d’aller au bout d’un processus resté inachevé au détour des années 1970, alors que les budgets lunaires s’évaporaient aux États-Unis. De quoi relancer dans un mélancolique élan rétrofuturiste une « conquête » spatiale trop longtemps mise au rebut, au regret de toute une communauté d’amateurs de l’espace (les « space enthusiasts ») lassés des atermoiements et coupures budgétaires. En 2022, le coût estimé du programme Artemis était évalué à 93 milliards de dollars (en comptant SLS et Orion) pour la période 2012-2025 : l’effort économique consenti par les États-Unis est énorme.
Bien sûr, cette lecture des affaires spatiales comporte quelques limites. La Chine n’est pas l’URSS, et les acteurs du New Space censés « privatiser » l’espace sont moins nouveaux qu’ils n’en ont l’air : ils s’inscrivent plutôt dans un projet marchand débuté dès les années 1960. L’occupation humaine de l’espace en revanche (le « vol habité ») concentre encore et toujours une bonne partie des commentaires dans la presse généraliste, quand bien même elle ne représente que la partie émergée des activités entrant dans la case « astronautique ». Cette diversion s’est illustrée dès la création de la NASA en 1958. La « course à la Lune » est alors érigée en spectacle pop par un président Kennedy qui cherche à démontrer la suprématie technologique et idéologique de l’Amérique contre l’URSS. Les deux Blocs s’affrontent ainsi sur une scène géostratégique et spectaculaire, rythmée par les grandes premières des astronautes et cosmonautes. Au même moment pourtant, les malins génies des armées planchent sur le scénario de « l’holocauste nucléaire » et font exploser des bombes atomiques dans l’espace. Et alors que la foule regarde le ciel, les fusées sont bien plus nombreuses sous terre, prêtes à transporter leurs charges nucléaires vers l’ennemi.
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