📚 RENTRÉE LITTÉRAIRE 2022📚
L’Oxford English Dictionary (OED) est un dictionnaire de référence pour la langue anglaise. Comme pour d’autres grands dictionnaires, le travail de rédaction s’est étalé sur plusieurs décennies. Le projet prend forme avec une conférence prononcée en 1857. Les rédacteurs demandent à la population anglaise de reporter sur des fiches toute citation illustrant le sens ou l’emploi d’un mot-cible (entrée), avec la référence précise.
Ce roman est donc un récit historique, basé sur des faits réels, et avec des personnages qui ont, pour la plupart, réellement existé.
Esmymay Nicoll, Esme, est une petite fille orpheline de mère, qui passe son temps sur le lieu de travail de son père, lexicographe pour l’OED : au Scriptorium (en réalité, un abri de jardin à Oxford où travaille une équipe dirigée par James Murray, l’un des éditeurs de l’OED). L’équipe, composée majoritairement d’hommes, travaille sous l’influence des mœurs de l’époque victorienne.
Esme commence une opération clandestine pour sauver des mots qui ont été négligés ou intentionnellement omis du dictionnaire. Elle récupère les fiches mises de côté et les garde précieusement dans une malle. Ce qui ne s’était qu’un simple jeu d’enfant devient l’entreprise de toute sa vie. Le récit se déroule de 1886 à 1989. De quoi découvrir une vrai fresque historique passionnante.
« Certains mots sont plus importants que d’autres – je l’ai appris en grandissant au Scriptorium. Mais j’ai mis longtemps à comprendre pourquoi. »
En effet, les efforts d’Esme pour « sauver » certains mots gagnent du terrain en même temps que le mouvement pour le suffrage des femmes prend de l’ampleur en Angleterre. Esme commence à chercher des mots de femmes de la classe inférieure sur le marché, dans l’espoir qu’un jour on se souviendra d’eux comme faisant partie de l’histoire de la langue anglaise. Un langage familier peut être oublié facilement, ce qui est une perte pour les générations présentes et futures. L’occasion pour Esme de se rapprocher de ces femmes essayant de subvenir à leurs besoins, et non dénuées de rêves.
« Je suis certaine qu’il y a une multitude de mots superbes qui volettent sans s’être jamais posés sur une fiche. Je veux les écrire pour les conserver. »
Le spectre imminent de la Première Guerre Mondiale donne de la tension à la saga personnelle d’Esme tandis qu’une distribution disparate de personnages secondaires ajoute du pathétique et de la profondeur. Sous-jacentes à ce récit panoramique se trouvent des interrogations lexicographiques et philosophiques : à qui appartient le langage, le langage reflète-t-il ou affecte-t-il, qui choisit ce qui est approprié, pourquoi un sens vaut-il mieux qu’un autre, que se passe-t-il lorsqu’un mot change de sens ?
L’auteure fournit aux lecteurs des informations détaillées et biographiques indiquant des recherches approfondies sur l’OED et ses éditeurs. Le résultat est un amalgame de vérité et de fiction historique que j’ai énormément apprécié. J’ai appris une tonne de choses à propos de la conception d’un dictionnaire, de l’origine des mots, de l’analyse lexicologique, un vrai régal !
Pip Williams a une plume fluide, riche, je l’ai trouvée travaillée et maîtrisée. La construction est linéaire, chronologique.
Le seul petit bémol que je soulèverai concerne les longueurs des descriptions, surtout dans la partie consacrée à l’enfance d’Esme. Je suis une amoureuse des mots, je ne me suis pas ennuyée, mais je pense que quelqu’un de moins passionné pourrait trouver le temps long. Mais, paradoxalement, ces longueurs ont contribué à me faire happer par l’histoire et par le rythme, justement. J’avais l’impression de m’entourer d’une bulle de coton, de m’enfoncer dans un fauteuil moelleux dans un coin du Scriptorium et de suivre avec délice les péripéties de nos personnages.
Esme deviendra une femme forte et déterminée. Elle va vivre des moments chaotiques dans sa vie personnelle, c’est le moins que l’on puisse dire. Elle sera confrontée à une prise de décision oh combien difficile. J’ai aimé son côté à la fois fragile et fort. Je l’ai trouvée touchante à maintes reprises. L’auteure ne nous propose pas seulement un récit autour des mots. Elle nous livre le portrait d’une femme en pleine époque victorienne, avec ses préjugés quant au travail et à la condition des femmes.
Si vous êtes un amoureux des mots, un linguiste, un lexicographe ou un grammairien, c’est le roman que vous attendiez sans même vous en rendre compte. Si vous n’avez jamais pensé aux mots de cette façon auparavant, ne vous inquiétez pas : l’auteure vous convaincra de l’importance d’un mot dans une histoire des plus charmantes et charismatiques.
A la fin du roman, l’auteure nous rappelle la chronologie de l’Oxford English Dictionary ainsi que celle des principaux événements historiques évoqués. La rédaction des remerciements est amusante, sous forme de fiches qui auraient très pu passer entre les mains de nos typographes.
Un mot de la couverture, divine, attractive. Elle donne envie de découvrir le roman.
Un roman époustouflant que je vous conseille absolument, je suis passée très près du coup de cœur.
Je remercie les Éditions Fleuve et NetGalley pour cette lecture.
« Les mots sont comme les histoires, vous ne trouvez pas, M. Sweatman ? Ils se transforment en passant de bouche en bouche ; leur sens s’étire ou se rétracte pour s’adapter à ce qui doit être dit. Le Dictionnaire ne peut évidemment pas restituer toutes les variations possibles, d’autant plus qu’il y en a tant qui n’ont jamais été écrites… »
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