Discours de Roger Martin du Gard pour le prix Nobel (1937).
“Ceux qui sont "bien pensants", parce qu'ils ne peuvent pas être "pensants" tout court. ”
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Sur France Inter : Concordance des temps 14-15
Actualité de Roger Martin du Gard
http://www.franceculture.fr/emission-concordance-des-temps-actualite-de-roger-martin-du-gard-2014-12-13
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On ne peut guère nier que l’œuvre de Roger Martin du Gard, plus d’un demi siècle après sa mort, traverse une période de purgatoire et que l’auteur de Jean Barois et de la saga des Thibault, prix Nobel en 1937, n’est plus fréquenté par nos contemporains autant qu’il le fut par les siens.
“Ne vous illusionnez pas sur l’utilité de la production quand même. Est-ce qu’une belle vie ne vaut pas une belle oeuvre ? J’ai cru aussi qu’il fallait besogner. Peu à peu, j’ai changé d’avis…”
“Votre au-delà est une invention merveilleuse: c’est une promesse placée si loin que la raison ne peut pas interdire au cœur d’y croire.”
“Je crois qu'il est impossible de ne pas éprouver une espèce de vertige, à ces premiers contacts avec la Science, lorsqu'on commence à distinguer, pour la première fois, quelques-unes des grandes lois qui ordonnent la complexité universelle”
La vie, on sait bien ce que c'est : un amalgame saugrenu de moments merveilleux et d'emmerdements.
"Je vous aimais tellement... que je ne vous désirais presque pas !"
En fait, c'est la femme qui mène l'affaire. Le compte en banque est resté à son nom. Quand elle parle de son mari et du Bavarois, elle dit : "mes hommes", comme un caporal.
Dans chacune des deux chambres de la maison, il y a un grand lit.
Mme Loutre couche dans l'un, et son fils, dans l'autre. Mais on n'a jamais su lequel des deux "hommes" partage le lit de l'enfant, ni si c'est toujours le même.
Les comment m'intéressent assez pour que je renonce sans regret à la vaine recherche des pourquoi.
(dans «Le pénitencier»)
Le jour se meurt… Un peu de cendre grise et rose,
Linceuil des soirs défunts, enveloppe les choses.
La terre se recueille et le jardin s’endort.
Vous ne me voyez plus ? Je vous devine encor…
Je vois sur vos genoux vos mains, deux tâches blanches,
Et sur l’argent du ciel votre front qui se penche…
Le vent passe sur nous comme un oiseau frôleur,
Et son souffle, attiédi par la douce chaleur
Qu’il prend sur votre lèvre en cueillant votre haleine,
En un baiser discret, vient effleurer la mienne…
[…]
Ecoutez… tout se tait… - Vous pleurez, n’est-ce pas ?
Oh, ma petite amie, aimons ces heures-là !
Aimons-les ! Leur tristesse éveille ces sanglots
Et ces larmes d’enfant qui baignent vos yeux clos…
Aimons ces soirs de fièvre où l’on pleure sans cause,
Ces soirs où tout fait mal, où le parfum des roses
Semble aviver en nous de coupables langueurs…
Un peu de cendre aussi tombe au fond de nos coeurs.
Restons ainsi. Laissons le soir, petite amie,
Caresser nos fronts las de sa lente agonie.
Et que nos rêves clairs montent comme un espoir,
Dans la sérénité pacifique du soir !
Barois. - « Tenez : à propos d’habitude, je me souviens d’une scène qui m’a beaucoup frappé à la troisième ou quatrième audience.
« J’étais en retard. J’arrivais par le couloir de la presse, juste au moment où les juges s’engageaient dans l’entrée. Presque en même temps qu’eux, un peu en arrière, débouchent quatre témoins, quatre généraux en grande tenue. Eh bien, les sept officiers-juges, sans avoir eu le temps de se concerter, d’un même mouvement devenu chez eux machinal et qui révèle un asservissement de trente ans, se sont arretés net, le dos au mur, au garde-à-vous… Et les généraux, simples témoins, ont passé devant eux, comme à la revue, pendant que les officiers-juges faisaient automatiquement leur salut militaire… »
Cresteil (spontanément). - « Ça a sa beauté ! »
Barois. - « Non, mon petit, non… C’est l’ancien Saint-Cyrien qui vient de parler, ce n’est pas le Cresteil d’aujourd’hui. »
Cresteil (tristement). - « Vous avez raison… Mais ça s’explique, voyez-vous… Pour des êtres fiers et énergiques la discipline demande un tel sacrifice de toutes les heures, qu’on ne peut pas perdre l’habitude de l’estimer au prix qu’elle coûte… »
Barois (suivant son idée). - « D’ailleurs, le verdict de tout à l’heure, c’est la répétition de cette scène du couloir… Cette condamnation d’un traître avec circonstances atténuantes, cela paraît boîteux, inepte… Mais réfléchissez : la condamnation, c’est le salut militaire qu’ils ont fait sans s’en rendre compte, par discipline professionnelle ; et les circonstances atténuantes, ça, c’est, malgré tout, l’hésitation de leurs consciences d’hommes… »