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Critique de Nastasia-B


Le Procès est une sorte de farce douce-amère à visée philosophique. Franz Kafka n'est pas si loin, avec son Procès, de l'esprit de Voltaire et cette farce pince-sans-rire nous pose, avec beaucoup de gravité, les deux questions suivantes :
Qu'est-ce que la culpabilité ?
Qu'est-ce que la loi ?

De mon point de vue, on s'inscrit pleinement dans une démarche philosophique, même si le versant de satire sociale ne peut être exclu.
Le Procès met mal à l'aise. C'est voulu. Il nous oblige à prendre position. C'est voulu également.

Nul ne peut prétendre avoir tout compris, tout vu, tout senti de cette oeuvre tellement particulière. Sur cent lecteurs du Procès, vous aurez cent (voire plus) interprétations fort différentes des mêmes passages.

Cela vient pour une part de l'écriture même de Kafka, une sorte d'écriture onirique, qui s'apparente à la réalité, sans jamais en être, exactement comme dans le processus mystérieux de nos rêves ou de nos cauchemars. (J'y vois d'ailleurs une nette parenté avec la fin d'Alice au Pays des Merveilles et ne serais pas surprise qu'elle ait inspiré ce livre.) Des situations occlusives, obstruées, sans issue, loufoques, où l'on est tombé en croyant dur comme fer avoir gardé le contrôle de bout en bout et d'où l'on sort, sans davantage savoir pourquoi ni comment.

Cela provient aussi de l'histoire propre et de la genèse de l'oeuvre, non achevée, non destinée à être publiée en l'état et d'ailleurs publiée contre l'avis même de l'auteur qui, mourant, s'était opposé à la publication de ses travaux en cours. Certains liens peuvent donc sembler manquer, mais ce n'est absolument pas dommageable pour la lecture car l'un des effets d'écriture de Kafka est justement de distiller adroitement des informations incohérentes ou non corrélées qui sèment le trouble à dessein.

Nous voici donc aux prises avec un homme, Joseph K., fondé de pouvoir dans une banque, qui, un beau matin, voit arriver chez lui deux gaillards, qui lui stipulent qu'il est arrêté. Lui est innocent, du moins, c'est ce qu'il dit. Mais l'est-il vraiment ? Pour quel motif est-il arrêté ? Nul ne le dit, mais " La Loi ", le sait, et ses voies sont impénétrables, elles aussi. Son procès commence mais nul ne sait où, pourquoi ni comment, ni sur quels documents ni qui en sont les acteurs judiciaires.

Franz Kafka décrit le lent processus d'aliénation mentale que crée cette situation d'incertitude, de non-dits, d'annonces contradictoires, d'attentes interminables confrontées aux démons de la solitude.

On a, après la mort de Kafka et à la lueur des événements survenus dans les grandes dictatures communistes, interprété le Procès comme prémonitoire à ce genre d'excès. Ce n'est pas le parti que je prends, et je crois qu'on a beaucoup surinterprété certains aspects du roman en en occultant d'autres, même si je comprends le parti pris politique et le trouve défendable.

Je crois surtout qu'on néglige beaucoup l'humour contenu dans cette oeuvre bien que, de prime abord, elle ne viennent pas tout de suite à l'esprit comme un livre drôle, et pourtant. de même, on n'interprète pas ou peu, ou dans un sens bien obscur, le rôle et le comportement des femmes dans le Procès.

Pourquoi quasiment toutes les femmes plus ou moins désirables s'amourachent-elles toutes de K. lorsqu'il est accusé et ne semblaient-elles pas le faire avant ? L'une d'elle, Leni, fournit une explication peu plausible qui nous questionne furieusement : " Lorsqu'un homme est arrêté et accusé, il devient plus beau. " Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Que cherche à nous dire Kafka ? Peu loquace sont les commentateurs sur ce point...

Non, ce qui a retenu l'attention c'est surtout le questionnement d'ordre métaphysique que propose Kafka, et c'est vrai que là, c'est du lourd. Dans l'une des scènes, K., pour assurer sa défense, s'ingénie à rechercher toutes les actions qu'il a commises avant son arrestation.

Ce passage en particulier me paraît très intéressant car qui, parmi les innocents que nous sommes ou que nous croyons être, peut regarder l'ensemble de ce qu'il a fait et se dire qu'il n'a jamais été coupable de quoi que ce soit envers qui que ce soit ?

L'autre axe fort du roman, notamment au travers du seul chapitre publié du vivant de l'auteur, Dans La Cathédrale, qui met en scène la parabole du gardien et de la forteresse Loi, nous interpelle sur ce qu'est la loi. La loi dit-elle toujours la vérité ? Prend-elle toujours le parti du juste ? Qui fait la loi ? Pour qui ? Qui connaît la loi ? etc. Autant de questions qu'il est troublant de se poser et que le Procès nous oblige à nous poser.

Je ne peux pas dire que la lecture m'ait toujours enthousiasmée mais il est indubitable que ce livre nous questionne jusques aux tréfonds de nous-même avec une force suffisamment rare pour être qualifiée d'exceptionnelle. Si vous ne vous sentez pas le courage de lire tout ce livre, les deux chapitres vraiment très forts, que je vous conseille absolument, pour des raisons différentes, sont celui intitulé Début de L'Instruction et celui intitulé Dans La Cathédrale.

En somme, tout ceci concourt à faire de ce livre bizarre, dérangeant, iconoclaste un incontournable, mais tel n'est là que mon avis, ne m'en faites pas procès car il ne signifie sans doute pas grand-chose.
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