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Critique de AudMgt


AudMgt
18 septembre 2020
La civilisation du poisson rouge de Bruno Patino édité chez Grasset & Fasquelle en 2019 a obtenu le Prix des Lecteurs 2020, il est donc sorti en Livre de Poche. C'est un ouvrage accessible dans sa compréhension et par son petit format.

Les réseaux sociaux occupent de plus en plus du temps disponible pour bon nombre d'entre-nous. Cette attraction grandissante pour les écrans va-t-elle de paire avec un possible éloignement face au réel ? Une attitude semblable à celui du monde du joueur compulsif et de l'addiction, une dépendance s'installent avec la recherche de satisfaction instantanée (via la molécule du plaisir qu'est la dopamine).


Le sujet du numérique intéresse de près l'auteur
Déjà avec ses précédentes publications, Bruno Patino observait depuis l'intérieur du milieu des médias, les transformations qui s'opèrent ces dernières décennies. La nouvelle génération née avec la connexion permanente et les smartphones est sollicitée en permanence par les alertes, notifications et autres recommandations. L'Intelligence Artificielle digère nos données et comportements : le placement de produits et de services est visé. le but est de créer des stimuli, un sentiment de satisfaction prévisible, voire d'appartenance. En entrant dans l'ère de l'économie numérique, nous sommes passés de la loi de la main invisible du marché à celle des réseaux capteurs d'attention par la distraction.


Un poisson rouge ?
Ce poisson que l'on a voulu comme « animal domestique » – parce qu'il implique peu de contraintes – vit normalement en bandes entre 20 et 30 ans et peut faire jusqu'à 20 cm. Sa mise en bocal l'a atrophié, a accéléré sa mortalité et détruit sa sociabilité. Il n'a pas d'« intimité » et est exposé à la vue de tous. Nous nous retrouvons a son image à tourner en rond, immobilisés devant un écran. La psychologie et les neurosciences s'interrogent sur la probable passivité qui en découle ainsi que la création de besoins plus ou moins utiles. Les plateformes de rencontre modifient la notion de relations humaines, le visionnage de séries également. Avec son livre Dans la nuée : Réflexions sur le numérique (2015), Byung-Chul Han (1) observe une dépendance à l'outil : une fuite en avant sans réelle perspective, des activités sociales virtuelles. Les professionnels du marketing créent un écosystème en ligne superficiel et changeant. Pour Eli Pariser – dans le livre The Filter Bubble (2011) – c'est un rapport à la réalité construit : les algorithmes emprisonnent au sein d'une bulle d'informations qui maintient dans une vision propre du monde. Yves Citton parle du syndrome Fomo : une anxiété sociale liée à la peur de manquer un événement donnant une occasion d'interagir. Un rituel protecteur est né. La peur panique de se trouver éloigné de son portable est un trouble appelé nomophobie.


Initialement, un but idéaliste de partage de savoir et de libre accès
Faire évoluer la pensée par la mise en relation collaborative des connaissances est tangible dans les écrits de Teilhard de Chardin datant de 1955 ainsi qu'il l'écrit : « la Noosphère tend à se constituer en un seul système clos, où chaque élément pour soi voit, sent, désire, souffre les mêmes choses... Une collectivité harmonisée des consciences, équivalente à une sorte de super-conscience ».
D'une agora au service de l'humanité, nous avons dérivé vers une arène avec une superstructure accumulatrice de liens qui nous dépasse. L'égalité pour chaque utilisateur a dévié vers la captation de données. Un espace devenu privatisé et contrôlé, loin de l'idée moderniste d'émancipation. L'acronyme GAFAM regroupe les grandes firmes américaines du web - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – qui dominent ce marché. Google était à ses débuts un moteur de recherches puis est devenu une entreprise de services organisant des informations. L'observation globale du passage à l'ère industrielle dont a découlé la société de consommation n'est pas sans en rappeler certaines similitudes avec ce que nous vivons aujourd'hui. Seulement, ce ne sont plus les ressources naturelles qui sont exploitées mais ce qu'André Breton appelait « l'or du temps ».


Une quête qui a provoqué une accélération sociale visible avec du bon et du mauvais
C'est cela, la disruption et elle génère une perte de repères potentielle. le sociologue Hartmut Rosa, souligne qu'avec le progrès numérique, la technologie permet de faire plusieurs tâches en même temps et plus rapidement. Maximiser sa consommation de biens et services en gagnant du temps et occuper son temps perdu paraît important, pourtant le philosophe Eric Sadin explique que cette recherche d'optimisation satisfait en premier lieu des intérêts privés et Bernard Stiegler, d'ajouter que celle-ci est irréelle voire une perte de temps.
Résultat : nous zappons sur des contenus, notre temps d'attention se raccourcit. L'intelligence collective s'exprime en réseaux par une bataille d'opinions, la presse tente de garder son indépendance et son autonomie de rédaction à la conquête d'une audience internationale via le net. La société du divertissement et du spectacle qui domine nos vies et dont parlait, dès les années soixante-dix, Guy Debord n'est pas très reluisante. Les premières recherches d'audience par le sensationnel, dans le but d'une rentabilité économique et d'accès pour tous, ont vu le jour via la TV et la radio. le risque de déviance s'opère lorsque uneinformation est traitée selon son efficacité économique ; l'achat des chaînes et de la presse par de gros groupes n'y est sûrement pas pour rien.

Modérer et utiliser le web intelligemment
La toile n'est-elle pas le reflet de la société dans laquelle nous vivons ? Réglementer, est-ce la meilleure solution ? Changer de moteur de recherches, installer des bloqueurs de publicités ainsi que des anti-virus, retirer l'option « alerte » afin de ne pas être sollicité en permanence, ne pas avoir le réseau sur son téléphone portable en dehors de chez soi sont des possibilités. Quid du livre numérique et du numérique à l'école : une avancée intellectuelle ou un danger de lissage d'un contenu ainsi que des effets indésirables sur le cerveau et nos yeux mais captivant par son design. Quant au streaming et messageries surchargées, on nous dit qu'ils sont consommateurs d'énergie. Cela demande une logistique sophistiquée avec des lieux de stockage des data-centers qui ont besoin d'être refroidis en permanence et « produisent autant de CO2 que l'industrie aéronautique » ; l'image est parlante dans le film nouvellement sorti « Effacer l'historique » (2). Il a été question de traçage lorsqu'en mars dernier les pays se posaient la question de comment procéder avec la pandémie de covid19. La surveillance du télétravail s'instaure. La 5G s'installe dans toutes les communes pour des raisons utiles : télétravail – on a pu le voir cette année – il faut que tous, même dans les endroits les plus retirés du territoire puissent au moins y avoir accès. L'économie va continuer de surfer sur cette vague puisque d'ores et déjà des séminaires de désintoxication se mettent en place (3). La démarche relève de notre propre volonté et pas d'une nouvelle appli marketing qui nous dirigerait dans la « bienveillance » à nous déconnecter.

168 pages - 7,20€


AUTRES CONSEILS LECTURE SUR LE SUJET :
- La bande dessinée Sérum sortie aux éditions DELCOURT en 2017.


- Technoféodalisme, critique de l'économie numérique de Cédric Durand (paru le 17 septembre dernier).

Analyse sur la Silicon Valley, l'accélération via la crise du coronavirus, la notion de start-up nation et l'économie libérale. Les recherches de l'auteur portent sur la mondialisation, la financiarisation et les mutations du capitalisme. Il est l'auteur de le Capital fictif (Les Prairies ordinaires, 2014). La digitalisation du monde produit une grande régression.


- Gouverner la ville numérique d'Antoine Courmont et Patrick le Galès (PUF, 2019)

Les villes font face à des transformations. Des plates-formes telles qu'Airbnb, Uber ont bouleversé pratiques et espaces. Les données et les algorithmes sont utilisés par les acteurs publics comme privés pour optimiser le fonctionnement urbain. L'ouvrage illustre l'enjeu du big data, ceux des politiques et les défis auxquels sont confrontées les autorités publiques.



- Les nouveaux travailleurs des applis de Sarah Abdelnour et Dominique Méda (PUF, 2019)

Deliveroo, Uber, Etsy... des applications qui prétendent bouleverser nos façons de consommer. Mais qu'en est-il de nos manières de travailler ? Plus qu'une innovation technique, les plateformes numériques apparaissent comme le lieu d'une redéfinition des règles du jeu en matière d'emploi et de travail. Entre marchandisation des activités de loisir et gratuité du travail, le « capitalisme de plate­formes » participe de l'émergence de formes renouvelées, voire exacerbées, de sujétion des travailleurs. Loin des idéaux d'une prétendue « économie du partage », n'assiste-t-on pas au déploiement de nouvelles dynamiques du capitalisme avancé ? À partir d'enquêtes, cet ouvrage met au jour la tâcheronnisation des travailleurs et l'extension du domaine du travail, tout en analysant les résistances et les régulations de ces nouvelles activités.

Sarah Abdelnour est Maîtresse de conférences en sociologie, elle a réalisé une thèse de sociologie à l'EHESS sur le régime de l'auto-entrepreneur. Elle a publié Les nouveaux prolétaires (éditions Textuel, 2012). Dominique Méda, agrégée de philosophie, ancienne élève de l‘École Normale Supérieure et de l'École Nationale d'administration est professeure de sociologie, chercheuse associée au Centre d'études de l'emploi. Elle est titulaire de la chaire « Reconversion écologique, travail, emploi, politiques sociales » au Collège d'études mondiales. Elle a publié Réinventer le travail (2013).

- Qui va prendre le pouvoir ? Les grands singes, les hommes politiques ou les robots de Pascal Picq (Odile Jacob)

- le journalisme avant internet (2018) : ancien grand reporter au Monde et collaborateur à la revue Schnock, José-Alain Fralon dresse le portrait d'une époque, où la presse écrite avait les moyens d'envoyer des équipes de par le monde. le temps, avant l'Internet et les portables, où il fallait se battre pour pouvoir dicter ses papiers à son journal.
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1 - « Nous sommes dépassés par le numérique qui, en deçà de toute décision consciente,
modifie de façon déterminante notre comportement, notre perception, notre sensation,
notre pensée et notre vie sociale... Cette cécité ainsi que la torpeur qui l'accompagne sont
les symptômes fondamentaux de la crise actuelle. » de cette crise sociétale, Byung-Chul
Han analyse les aspects de l'existence de la démocratie qui sont bouleversés à l'heure où la
société est réduite à l'état de nuée volatile d'individus "connectés", auto-asservis.
2 - Source : article de la SACEM
Film de Benoît Delépine & Gustave Kervern (avec Banche Gardin, Benoit Podalydès, Co-
rinne Masiero) qui porte à l'écran cette thématique. Synopsis : trois voisins sont en prise
avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Ensemble, ils décident de partir en
guerre contre les géants d'internet.
3- Signalé il y a peu dans l'émission Envoyé spécial intitulée « Écrans : sommes-nous tous
accros ?
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