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Critique de Meps


A quoi reconnait-on qu'une auteure est vraiment devenue une de nos favorites ? Au fait qu'on ne réfléchisse même pas quand on a l'opportunité d'acheter son dernier livre. Pour beaucoup d'auteurs, j'attends avant d'envisager même de lire leur dernier livre, je n'ai pas de scrupule particulier à l'emprunter en bibliothèque plutôt qu'à l'acheter. Pour Beata, quand j'ai l'opportunité d'un achat, je vérifie d'abord si elle n'a pas de nouvelle parution... et ce fut le cas grâce à la carte cadeau de Noël de ma chère soeur, merci beaucoup !

Elle qui avait tracé son chemin d'auteure en évoquant la tragédie du génocide des Tutsis par le biais de la fiction, tout en subtilité puisqu'elle n'aborde jamais de front les massacres mais préfère évoquer le passé et le futur, Ejo en kynyarwanda, titre de son premier recueil de nouvelles... comment allait-elle se frotter au travail du récit autobiographique, genre qui est loin d'être mon préféré. Sans voyeurisme, il m'intéressait fortement d'en savoir plus sur son vécu personnel de ce drame.

Elle nous offre tout d'abord la genèse de ce projet, ce qui fut parfait pour moi car elle explique ainsi son choix premier de la fiction et me permet moi aussi de mieux comprendre ce qui m'avait séduit en tant que lecteur dans sa démarche, cette volonté de témoigner sans choquer, en offrant au lecteur l'émotion qui n'enferme pas mais libère. Son dessein rejoignant mon ressenti, je ne pouvais ainsi que me confirmer le lien littéraire construit avec elle. Elle explique également ce qui la mène finalement à témoigner de son histoire, pour elle, pour ses enfants, en communion avec les autres victimes, pour L Histoire. Elle analyse tous les écueils rencontrés par les victimes d'un tel drame, dénichant une formule si explicite en évoquant des histoires "pas tant indicibles qu'inentendables". Elle trace également un lien essentiel entre les génocides, sans jamais vouloir comparer, mais insistant sur la nécessité des échanges et du travail en commun, pour mieux comprendre ce qui peut amener des êtres humains à abolir leur jugement pour perpétrer l'horreur.

Quand elle rentre dans le coeur du récit, elle endosse toujours les habits de l'auteure qu'elle es devenue : humilité, générosité, bienveillance, douceur malgré l'horreur. Elle s'excuserait presque d'avoir vécu moins de drames personnels que la plupart des victimes, parvenant par exemple à survivre aux côtés de sa mère. Une mère dont on apprend peu de choses, comme elle l'explique plus tard en interview, parce que celle-ci ne souhaite pas qu'on parle trop d'elle. Toujours autant de pudeur, de respect du ressenti de l'autre. Elle prend également un bon quart du livre à rendre hommage aux humanitaires qui l'ont sauvée du génocide, à nous raconter sa rencontre avec eux plus de 20 ans après. Elle évoque bien sûr les responsabilités des gouvernements occidentaux, particulièrement belges et français dans la tragédie. Mais elle ne s'attarde pas en longueur sur les coupables, préférant expliquer ce qui a pu fonctionner et offrant ainsi un bon guide pour les associations oeuvrant sur le terrain, même si elle reconnait et déplore que rien de tout cela ne serait possible aujourd'hui, les procédures d'intervention des humanitaires s'étant considérablement alourdies.

Face à autant de bienveillance, on ne peut que comprendre la dernière partie, qui s'interroge sur les photos prises de ce drame, qui ont contribué à en fausser l'image, transformant les coupables hutus en victimes et permettant ainsi de justifier la protection de certains des coupables directs des tueries. Et on ne peut que s'offusquer avec elle des difficultés éprouvées par les victimes pour récupérer certaines de ces photos où elles figurent pourtant elle-mêmes, en total déni d'un droit à l'image, et alors même qu'elle nous détaille bien ici à quel point ces souvenirs du drame gravés sur la pellicule peuvent être des étapes importantes pour la reconstruction. Là encore, elle montre tant d'humilité, déplorant que son statut de privilégiée (Française, ayant fait des études supérieures, auteure) lui permette un accès facilité (et pourtant bien semé d'embûches) aux archives alors que d'autres victimes en sont elles privées. Totalement dans la ligne qu'elle s'est toujours fixée, de bout en bout de son récit, tout simplement sans doute parce qu'elle ne peut pas agir autrement qu'en personne humaine et respectueuse.

Pour finir, petite anecdote en passant. Dans le livre, elle cite trois auteurs de fiction, soit pour évoquer une lecture qui l'a guidée dans sa réflexion, soit à l'occasion d'une rencontre réelle, soit pour une citation qui lui permet d'appuyer son propos. Ces trois auteurs sont Imre Kertesz... dont j'ai lu le livre qu'elle évoque en septembre dernier ; Mohamed Mbougar Sarr... dont j'ai adoré le Goncourt lu en mars dernier... et Abdulrazak Gurnah, dernier prix Nobel africain que j'ai découvert en août dernier... quand je vous disais que la littérature me lie à cette auteure et que je ne pourrais donc que continuer à la suivre, une pénitence que je respecterais avec beaucoup d'enthousiasme.



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