Citations de Anaïs Barbeau-Lavalette (297)
La musique réussit à percer le gris des jours et, d'un bord à l'autre, les pas suivent le rythme et s'enfoncent dans la terre.
Parce que je suis en partie constituée de ton depart. Ton absence fait partie de moi, elle m'a aussi fabriquée. Tu es celle à qui je dois cette eau trouble qui abreuve mes racines, multiples et profondes.
Ainsi, tu continues d'exister.
Dans ma soif inaltérable d'aimer.
Et dans ce besoin d'être libre, comme une nécessité extrême.
Mais libre avec eux.
Je suis libre ensemble, moi.
Le paysagiste ne peut pas être arrogant. Le passage de celui qui cohabite avec la nature doit se faire discret; sa main guidée par l’acuité de son regard, doit faire émerger du paysage ce qu’il recelait déjà en son armure.
On confie notre peine au hasard de ce qui peut la porter.
Le paysage se déroule et s'éloigne, tu avales tout des yeux tranquillement. Tu sens que tu es à ta place, pour la première fois. Installée dans le mouvement des choses.
L'homme de ma vie frôle les murs. Il cherche des fentes, des brèches pour s'y cacher. Il se sent traqué, pris au piège. Il cherche un espace pour se perdre en lui, mais en lui il n'y a plus de place. C'est complet. Ses doigts craquent, sa tête craque, et la colère coule sur cette petite surface où nous devons nous protéger. Sa rage et sa peine collent à mes pieds, je ne peux plus courir. Je dépose ma main sur sa poitrine et j'essaie d'être une ancre. On découpe des bouts de jour, on lui fabrique une solitude, mais elle étouffe entre les mâchoires de ses parenthèse. La lumière veloutée du jour le pique et le heurte, il voudrait un terrier sans bruit et sans lumière où enfin pourrait exister le début d'un silence, le début de son silence, au bout duquel, peut-être, il saurait ce qu'il cherche.
Je pose mes yeux sur toi une dernière fois.
Tu as de gros seins. Pas nous.
Tu as une armure. Pas nous.
Nous sommes ensemble. Pas toi.
Tu ne nous auras pas tout légué.
Parce que je suis en partie constituée de ton départ. Ton absence fait partie de moi, elle m'a aussi fabriquée. Tu es celle à qui je dois cette eau trouble qui abreuve mes racines, multiples et profondes.
Ainsi, tu continues d'exister.
Dans ma soif inaltérable d'aimer.
Et dans ce besoin d'être libre, comme une nécessité extrême.
Mais libre avec eux.
Je suis libre ensemble, moi.
J'ai quatorze ans et je butine les garçons en chantant Alegría.
Elles fabriquent des armes. Transforment les casseroles en navire de guerre. (...)
Elles ont la prestance des grandes ballerines. L'élégance du geste utile.
Elles sont aussi un stimulus, une récompense. Les hommes qui partent au front se battent aussi pour elles: leur beauté participe à l'effort de guerre. (p. 71)
L'autobus ralentit. Marque un arrêt devant le garage d'un petit village, où deux vieillards l'attendent. Ils montent à bord en s'excusant. Ils ont la présence effacée des existences en pointillé. Ils ont traversé la vie sans faire de bruit en se tenant par la main. Ils ont souri quand il fallait. Ils ont pleuré et jamais crié. Ils s'assoient côte à côte comme d'habitude. Leur odeur se confond et ils pensent en choeur à des choses qui ne dérangent personne. Tu ne veux pas mourir comme eux. Ordinaire.
J'ai retourné la terre en écoutant Johnny Cash, puis j'ai planté beaucoup de concombres parce qu'on adore les concombres.
A l'autre bout de la saison, j'ai récolté des courges, énormes, beaucoup, beaucoup de courges. Mais aucun concombre.
Je suis au début de tout.
J'attrape une serviette dans un geste quotidien et je descends d'un pas encore endormi vers la rivière. C'est mon entrée dans la journée, mon plongeon matinal, qui équivaut à dix espressos. Je me déshabille, je glisse un pied dans la boue, puis mon corps en entier dans l'eau glacée. J'ouvre les yeux sous l'eau pour regarder le ciel. J'aime le voir de là.
Quelque chose frôle ma jambe. C'est gros. Je sors ma tête de l'eau. Un castor me fixe.
On ne bouge pas, ni lui ni moi. Il est dans ma bulle, clairement. Et je suis dans la sienne. Ni l'un ni l'autre n'abdique. Il ne semble pas avoir peur. Il plonge à nouveau près de moi et effleure ma cuisse nue. J'immerge ma tête sous l'eau et le cherche du regard. Je nage doucement, on est maintenant face à face. Je pourrais à cet instant prendre sa place. Habiter là en bordure du courant, m'y établir. Vivre entre des murs d'arbres tissés et le bassin clair du ruisseau.
Comme je l'imagine mal aller faire des tartines aux enfants, je me décide à sortir. Je frissonne. Enroulée dans ma serviette, je le vois s'enfouir à l'abri du rocher. Je crois qu'on peut dire qu on s'est rencontrés.
Je remonte vers la Maison bleue plus chanceuse que quand je l'ai quittée.
"Il faut stopper l'assassinat du présent et du futur à coups acharnés du passé."
L'arbre qui se meurt fleurit davantage. Il explose de beauté, il donne tout ce qu'il peut avant la fin, comme un majestueux salut à la vie qu'il a traversée. Leonard Cohen a écrit que la vieillesse est une façon élégante de faire ses adieux. C'est ce que fait le pommier qui meurt. II ouvre des fleurs par centaines, dans un ultime et magnifique effort pour essaimer, avant de disparaître.
Roxane rentre de l'école.
Sac à dos lourd.
Porte gelée, sonnette pétée.
Sonne une fois. Deux.
Passe par l'arrière.
Roxane sait à peine ses jours de la semaine, mais le jour du chèque, elle le reconnait facile. C'est aujourd'hui. Y a une deux trois bières sur le comptoir. La télé joue fort. Trop. Sa mère boit dans le salon.
Une gorgée. Un allô mouillé. Roxane, les yeux inquiets, cherche ce qui reste de sa mère.
Des arches noires sous les yeux, des trous dans le sourire, la robe de chambre grise ouverte sur son cou plissé, souffrance évachée dans le sofa.
- ... Allô, maman.
Un temps.
Sa mère face à la télé. Roxane face à sa mère. Roxane voudrait qu'elle la regarde.
Ma mère a toujours peur qu'on l'abandonne encore. Même si une mère, ça ne s'abandonne pas, il faut faire attention parce que, pour elle, ça n'est pas si clair que ça. (p. 11)
Ma mère est assise dans ta chaise berçante. Doucement, elle te touche. Pose ses mains où tu les as posées. Embrasse le rythme de berceuse, celle qui lui a manqué. (p. 17)
Les chanterelles apparaissent comme des pépites d’or dans une griffe de lumière entre deux fougères.
Et puis un jour, tu meurs. (...)
Nous, on est en cocon familial à la campagne. Ce que mes parents ont construit et qui ne te ressemble pas. Une famille qui se colle.
(...) Ma mère s'accroche aux murs. C'est Hiroshima dans son ventre.
Enfin débarrassée de ton absence.
Elle deviendra peut-être normale. Une femme, avec une mère enterrée. (p. 16)