Les Tudors de Bernard Cottret aux éditions Tempus
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Henri VIII de Cédric Michon aux éditions Perrin
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La nuit est tombée sur le palais de Whitehall.
Dehors, il fait froid ; les lourds rideaux de tapisserie sont tirés pour empêcher l’humidité du fleuve de pénétrer dans la chambre ; de temps à autre, on entend le crépitement des bûches et le souffle d’une respiration difficile. L’huile de rose et l’ambre gris brûlent doucement pour combattre l’odeur de la maladie. Dans la pénombre, au milieu d’un gigantesque lit, un vieillard énorme agonise. Il est seul. À la cour, tout le monde a peur de ce colosse monstrueux, qui depuis des années n’est pourtant même plus capable de tenir debout sur ses jambes. Il n’y a pas dix jours, il a encore fait décapiter le comte de Surrey, issu d’une des plus puissantes familles du royaume, et naguère compagnon fidèle de son fils bâtard. Jusqu’au bout, il aura montré que personne n’est à l’abri de ses angoisses paranoïaques. Bientôt, tous seront libérés de sa tyrannie. Mais, pour l’instant, pas un seul ne bouge. Dans son dos, à voix basses, tractations, complots et manigances vont bon train, pour déterminer qui dirigera le royaume lors de la minorité de son petit garçon de 9 ans qui sera roi demain matin.
(INCIPIT)
C’est comme si le pays ne cessait de rejouer le synopsis du règne d’Henri VIII. L’Angleterre est toujours dedans et dehors à la fois. Si depuis le Brexit, elle a inversé l’ordre des deux mots et essaie d’être dehors et dedans à la fois, historiquement, cette dimension est largement incarnée par la religion anglaise, une religion qui n’est ni catholique ni protestante, une religion qui, en dépit des évolutions postérieures au règne d’Henri, correspond à cette double identité voulue par celui-ci, une religion protestante dans le dogme, catholique dans la hiérarchie et les cérémonies.
Ce qui est certain aussi, c’est qu’en cinq ans, le roi va affirmer son contrôle sur l’Église d’Angleterre par la proclamation de sa Suprématie et va basculer dans une dérive autoritaire qui, par l’exécution de ses opposants les plus déterminés, impose une nouvelle manière de gouverner. Ce à quoi nous assistons pendant ces quelques années, c’est à une tragédie classique en cinq actes et en trois moments. Il y a d’abord « l’exposition » qui, selon Corneille, contient « les semences de tout ce qui doit arriver » ; puis le « nœud » qui précise la nature du conflit à résoudre ; enfin le dénouement qui résout les problèmes exposés dans le nœud
L’acte 1 est celui de l’exposition et du nœud. C’est la mise en place des personnages et du conflit. On s’aperçoit alors que celui-ci glisse progressivement de la question du mariage (l’exposition) à celle du rapport de suprématie entre le roi et le pape (le nœud). Dans l’acte 2, l’action commence : le roi se déclare chef suprême de son Église. Dans l’acte 3, il exerce son autorité nouvelle, contre son Église ; dans l’acte 4, il l’exerce contre le pape cette fois ; dans l’acte 5, il conclut : c’est la validation de la chute de tous ses adversaires (actes de succession, de Suprématie et de trahison). Il a alors résolu son problème
Thomas More ne dit pas autre chose dans son ode pour le couronnement d’Henri VIII :
Ce jour est la fin de notre esclavage et le début de notre liberté
La fin de la tristesse et la source de notre joie.
Car aujourd’hui est la consécration d’un jeune homme
Qui est la gloire éternelle de notre temps et dont il fait notre roi.
Un roi qui mérite non seulement de gouverner son peuple,
Mais également de gouverner le monde entier.
Un roi qui séchera les larmes de tous les yeux,
Et qui mettra de la joie en lieu et place de notre longue misère.
Il doit donc assister à des joutes savamment mises en scène et qui voient l’affrontement d’une équipe portant ses armes et représentant Pallas (la sagesse) et d’une autre équipe, qui représente Cupidon (l’amour), puis d’une autre encore représentant Diane (la chasse). Le programme est symbolique : Henri VIII sera-t-il un bon roi adepte de la sagesse ? Ou bien se laissera-t-il dominer par ses plaisirs, qu’il s’agisse de ceux de l’amour ou de la chasse ?
Lorsqu’il naît dans le palais de son père à Greenwich, le 28 juin 1491, Henri (le futur Henri VIII) n’est donc pas l’héritier de la Couronne. Et tandis que la naissance des deux aînés est célébrée avec tout le faste que l’on est en droit d’attendre d’une des grandes et plus anciennes monarchies d’Occident, sa modeste troisième position dans l’ordre des naissances passe relativement inaperçue et donne lieu à des festivités plus modestes.
La position d’Henri VIII est on ne peut plus paradoxale : il souhaite promouvoir l’accès aux Écritures saintes pour tout le monde, tout en interdisant à qui que ce soit d’arriver à ses propres conclusions en le faisant. En somme, il veut à la fois un retour à l’enthousiasme de la lecture des Évangiles et une stricte obéissance à la parole officielle. Celle-ci s’engage en parallèle dans une attaque contre la religion traditionnelle.
Dans cette histoire, Français et Anglais rivalisent d’esprit et opèrent une distanciation humoristique qui est une manière d’évoquer leur histoire partagée et de s’agacer mutuellement sur leur valeur commune : la vaillance guerrière. On a presque le sentiment que la complexité des relations franco-anglaises que l’on peut observer aujourd’hui est déjà là, tout entière, il y a cinq cents ans.
S’il peut sembler ridicule aujourd’hui de nommer chef de guerre un enfant de 3 ans, la situation est fort différente dans l’Europe de la fin du XVe siècle. En effet, la symbolique royale s’articule autour d’une double dimension : la dimension matérielle (couronne, sceptre, orbe, etc.) d’une part, la personne royale d’autre part.
Mais ce qui est le plus frappant peut-être c’est une forme de décalage entre les rêves médiévaux et impériaux des princes de la Renaissance, d’une part, et l’attitude pragmatique et réaliste de leurs conseillers, qui les invitent à ne pas caresser de chimères inutiles d’autre part.