Une longue discussion autour Du thé pour les fantômes, de Chris Vuklisevic, par la Garde de Nuit
Tout s’étale là, sous les lampes vertes de la salle de lecture. Une feuille pour chaque joie et douze pour chaque malheur. Les certificats de naissance et de décès, les contrats de mariage, les adresses successives. Voilà ce qui reste de soi, après. La paperasse, on a beau l’éviter toute sa vie, c’est au bout du compte notre seul vestige sur la Terre.
Si vous deviez vous représenter un Niçois, là, comme ça, qu’est-ce qui vous viendrait à l’esprit ? Mais si, allez-y, n’ayez pas peur. Je ne vais pas me vexer. Après tout, il suffit de me regarder pour se faire une première idée - enfin, si on oublie le thé et les nappes à dentelles.
Bon, vous êtes un peu timide, ou trop poli, ou faux-cul, alors je vais vous aider. Un authentique Nissart a la moustache épaisse, le ventre rond, un verre de Ricard dans une main, une boule de pétanque dans l’autre, et à la bouche des : « Tronche molle, tu le vois pas le cochonnet, il a le diamètre d’un citron de Menton, il te faut quoi, qu’on te l’annonce avec le canon de midi ? »
"On n'est pas qu'une personne dans sa vie, Clé."
Le Pu Erh que sert Marine n’active aucun effet étrange. Il produit seulement le même miracle que tous les thés servis et bus depuis le premier thé de l’empereur Shennong : à mesure que Félicité écoute la bouilloire grésiller, qu’elle observe Marine rincer les feuilles et l’eau fumante dégouliner entre les gravures de la table, qu’elle respire les vapeurs émanées de sa tasse et sent la céramique lui réchauffer les mains, le cyclone des derniers jours s’apaise, retombe et s’éloigne, hors du cercle de la cabane.
Au moins, maintenant, vous savez : taisez-vous quand vous mourez.
Parce que, tu vois, je n’ai rien d’une rivière qui a besoin d’un lit : je suis l’océan où se jettent les fleuves. Rien de moi n’est terré dans l’ombre.
Ensuite, n’importe qui ne devient pas fantôme. Ça ne vous arrivera que si cette malpolie de mort vous interrompt en plein discours.
Le souvenir de gens très riches qui se sont éteints très vite et n’ont laissé derrière eux que cet immense bouton d’or fané.
Il y a des gens comme ça, on se demande si on a envie de leur baiser les orteils ou de leur casser la gueule.
Parce que le ciel, lui, personne l’embête jamais. Et c’est lui qui décide sur qui tombent les tempêtes.