De fait, lors de la publication en 1889 (de Sans dessus dessous), il n'est plus question pour Jules Verne d'idéaliser les folles ambitions de l'ingénierie mais bien d'en railler les excès. La disparition de l'éditeur Pierre-Jules Hetzel en 1886 joue un rôle décisif dans ce revirement. Comme nous l'avons expliqué, sa ligne éditoriale ne permettait pas à l'auteur de tourner ouvertement en dérision les extravagances du progressisme. Si Verne faisait régulièrement part de ses doutes par l'intermédiaire de dialogues ou de caractérisations évocatrices, il ne composait pas de romans interrogeant de bout en bout l'industrialisation excessive. Lorsque Pierre-Jules Hetzel est remplacé par son fils Louis-Jules à la tête de la maison d'édition, Verne est aguerri et bénéficie d'une plus grande liberté qu'à ses débuts. Le dernier tiers de son œuvre est marqué par un pessimisme que n'aurait pas cautionné l'illustre éditeur.
Les discours à propos de la fin des temps sont récurrents dans les romans verniens. Que son destin soit soumis à des causes naturelles ou à l'inconséquence humaine, la Terre semble toujours en sursis. Si la présence de la thématique eschatologique dans les Voyages n'est pas étonnante dans la mesure où le memento mori et la crainte de l’anéantissement du monde sont des topos littéraires anciens, elle procède d'une évolution propre au XIXe siècle. [...] A cette époque, des récits profanes et des textes scientifiques s'emparent de la question et l'éloignent de la prophétie religieuse. La certitude que l'humanité est vouée à connaître de grands bouleversements reste intacte; mais les inquiétudes démographiques, les recherches cosmologiques annonçant divers cataclysmes, le perfectionnement technique faisant craindre des accidents ainsi que les découvertes de Charles Darwin renouvellent l'imaginaire eschatologique.