Geiger était un apôtre, un esclave de la minutie. Il passait son temps à démonter, distiller, isoler les parties du tout, parce que dans le domaine de la RI - la recherche d'informations - les détails sont cruciaux.
Il s'ingéniait à affiner la technique jusqu'à un point qui tenait du grand art. Ainsi, tout ce qui se passait à partir du moment où il entrait dans la salle d'interrogatoire avait une signification et demandait à être interprété. La moindre expression du visage, le moindre mot, le moindre silence ; le moindre tic, geste ou regard.
(page 25)
Presque tous les sujets atterrissent ici pour la même raison: ils veulent que le monde fasse d'eux des êtres plus importants qu'ils ne sont.
Les quelques centimètres qui les séparaient auraient pu se mesurer en années. A l'aune du lent déclin de l'intimité, malgré l'amour et le manque, de l'inexorable divergence des vies, quand l'hiver s'est installé définitivement et que le froid inéluctable est devenu insupportable.
La soumission à des chaleurs extrêmes a toujours fait partie de la panoplie de base des tortionnaires – qu'on songe à l'expression « mettre sa main au feu » – ainsi que les lacérations et écorchages des chairs. Ils se servaient aussi d'un large éventail d'ustensiles, allant des plus simples – les tenailles pour arracher les ongles – aux plus complexes, comme la poire d'angoisse, un appareil articulé en fer, souvent orné de ravissants motifs gravés, qu'on insérait dans l'anus ou le vagin et qu'on évasait lentement au moyen d'une vis. Le catalogue des instruments était d'une grande richesse : la roue, la patte de chat, la broyeuse de tête, la mâchoire de fer, le pal, l'estrapade. Tous ces engins, et bien d'autres encore, avaient été inventés avant la révolution industrielle et Geiger en était arrivé à la conclusion que le recours aux supplices n'était pas une erreur de parcours. Dans sa quête d'informations et pour les besoins de la cause, l'homme n'a jamais hésité à contourner ses lois et trahir ses convictions pour légitimer que soient torturés ceux qui ne partageaient pas ces mêmes convictions.
Le passé banni en profitait pour lever ses armées et envahir le présent. Désormais, il passait le plus clair de son temps en compagnie de fantômes, une communauté mélancolique composée de ceux qui étaient partis par choix et ceux qui n’avaient pas eu leur mot à dire. Ils le harcelaient. Ils lui posaient des questions auxquelles il ne pouvait répondre.
- [...] Mais comment se fait-il qu'il n'ait pas encore avoué?
- Il n'est pas encore au point de maturité. Il y arrivera bientôt.
- Le point de maturité?
Geiger hocha encore une fois la tête, mais il avait l'air de vouloir s'en tenir là.
- Il en est encore au stade où il a plus peur de ce qui peut lui arriver s'il avoue que de ce qui se passera s'il n'avoue pas. Pour l'instant, la certitude d'être torturé lui semble préférable à la possibilité de mourir. Mais ça changera.
Il savait que d'anciennes blessures mal cicatrisées s'étaient rouvertes. Pendant des années, il avait veillé à empêcher le monde extérieur de pénétrer son monde intérieur. Il n'avait fait qu'emprisonner les démons dans ses profondeurs. Et voilà qu'ils remontaient à la surface.
Geiger était un apôtre, un esclave de la minutie. Il passait son temps à démonter, distiller, isoler les parties du tout, parce que dans le domaine de la RI – la recherche d'informations – les détails sont cruciaux. Il s'ingéniait à affiner la technique jusqu'à un point qui tenait du grand art. Ainsi, tout ce qui se passait à partir du moment où il entrait dans la salle d'interrogatoire avait une signification et demandait à être interprété. La moindre expression du visage, le moindre mot, le moindre silence ; le moindre tic, geste ou regard.
Quand le corps ne peut pas bouger pendant un bon bout de temps, l'esprit s'en ressent. L'obscurité et la claustrophobie affectent les sens, la perception du temps, la perception de soi-même. Elles créent un environnement qui altère le contour des émotions. La douleur laisse place à la peur. L'espoir s'amenuise, le désespoir s'installe. Quand tu en es là, tu commences à voir qui tu es vraiment, à prendre la mesure de ta force et de tes limites.
La soumission à des chaleurs extrêmes a toujours fait partie de la panoplie de base des tortionnaires – qu’on songe à l’expression « mettre sa main au feu » – ainsi que les lacérations et écorchages des chairs. Ils se servaient aussi d’un large éventail d’ustensiles, allant des plus simples – les tenailles pour arracher les ongles – aux plus complexes, comme la poire d’angoisse, un appareil articulé en fer, souvent orné de ravissants motifs gravés, qu’on insérait dans l’anus ou le vagin et qu’on évasait lentement au moyen d’une vis. Le catalogue des instruments était d’une grande richesse : la roue, la patte de chat, la broyeuse de tête, la mâchoire de fer, le pal, l’estrapade. Tous ces engins, et bien d’autres encore, avaient été inventés avant la révolution industrielle et Geiger en était arrivé à la conclusion que le recours aux supplices n’était pas une erreur de parcours. Dans sa quête d’informations et pour les besoins de la cause, l’homme n’a jamais hésité à contourner ses lois et trahir ses convictions pour légitimer que soient torturés ceux qui ne partageaient pas ces mêmes convictions.