D'un côté le récit d'une anglaise qui s'éveille à la sexualité dans les années 60, de l'autre celui d'une romancière entre deux âges, bouleversée par l'arrivée chez elle d'un artiste qu'elle admire. Remise en cause des sentiments et des idéaux dans les romans des deux écrivaines britanniques.
Rachel Cusk, La dépendance (Gallimard),
Tessa Hadley, Free love (Bouquins)
Une rencontre entre les deux écrivaines, interprétée par Dominique Hascoët, le 11 septembre 2022 au palais du Gouvernement.
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Oh, pourquoi vivre était-il si douloureux, et pourquoi se voyait-on offrir ces instants de bien-être pour ensuite devoir mesurer à quel point, le reste du temps, la douleur nous accablait ?
(page 152)
Je ne pense pas que les parents comprennent forcément leurs enfants tant que cela. On voit ce qu’ils ne peuvent s’empêcher d’être ou de faire, plutôt que leurs intentions, et cela conduit à toutes sortes de malentendus. Par exemple, de nombreux parents se persuadent que leurs enfants ont du talent, alors que ceux-ci n’entendent nullement être des artistes !
(page 79)
Cette dépendance se dresse sur le versant d’une pente douce, séparée de notre grande demeure en contrebas par un bosquet derrière lequel le soleil se lève et illumine nos fenêtres le matin ; le soir, il se couche derrière ces mêmes arbres et illumine les fenêtres de la dépendance.
(pages 30-31)
J’ai parfois l’impression que la vie nous punit de nos aveuglements et que nous forgeons notre destin sur ce que l’on manque de voir ou sur notre absence de compassion ; ce que tu ne remarques pas, ce que tu ne t'efforces pas de comprendre, c’est ce que tu seras obligé d’apprendre.
Apparemment, le succès vous éloigne de ce que vous connaissez, dit-il, tandis que l’échec vous y condamne.
J’ai alors compris, je pense, que sa maladie l’avait délivré de son identité, de son histoire et de sa mémoire de manière si brutale et absolue qu’il avait enfin été capable de voir pour de bon. Or, ce n’était pas la mort qu’il avait vue, mais l’irréalité.
(page 194)
Il était risqué de prétendre pouvoir réécrire son destin en changeant de décor ; quand certains en faisaient l’expérience malgré eux, la perte du monde qu’ils connaissaient - quelles qu’en soient les caractéristiques - était une catastrophe.
La mère au foyer se dit souvent chanceuse : c'est son pitch, sa réplique, si jamais quelqu'un - une mère qui travaille, par exemple - venait à lui poser la question. (…) Jamais on n'entend un homme dire qu'il a de la chance de pouvoir aller travailler tous les jours. Alors qu'un mère au foyer en parle souvent comme d'un privilège, d'avoir la "permission" d'effectuer des tâches domestiques traditionnelles et tout à fait ordinaires. Elle est sur la défensive, bien sûr - elle ne veut pas qu'on la croie paresseuse ou sans ambition - et comme toute personne sur la défensive, elle dissimule (à peine) un noyau d'agressivité.
Nous inventons ces systèmes dans le but de garantir l’équité, dit-elle, mais la condition humaine est tellement complexe qu’elle échappe à toute tentative de l’embrasser. Pendant que nous combattons sur le front, c’est le chaos sur un autre, et beaucoup de régimes ont abouti à la conclusion que c’est l’individualité humaine qui est à l'origine de tous les problèmes. Si les gens étaient tous identiques et qu’ils partageaient un seul et même point de vue, il serait évidemment plus facile de les administrer. Et c’est là, dit-elle, que surgissent les vrais problèmes. (Kudos p.497)
Le destin, dit-il, n’est que la vérité à l’état brut. Quand on s’en remet au destin, les choses peuvent traîner en longueur, mais il fera rigoureusement et inexorablement son œuvre. (Transit p. 405)