Wendy Guerra - Un dimanche de révolution
La mémoire et la poussière
Pour mami : Albis Torres
« Ton temps est maintenant un papillon,
Un petit bateau blanc, mince, nerveux. »
Silvio Rodriguez (auteur-chanteur-compositeur cubain engagé)
Humain le geste d'un papillon perdu
battant des ailes dans le sanglot épistolaire du commencement
effaçant l'encre du cahier devenu fou
disant des mensonges sur la durée du vent
et dessinant le clame avec l'attente de la brise
Un halo d'été vint étouffer l'arrogance
et dans la douleur qui rappelle l'agonie
elle vole violacée et étrange
Comme si son état d'abondante beauté était invisible
elle tombe nue à mes pieds sans rougir
Pendant que je recouvre la poussière de ses livres
elle m'oublie et s'échappe
entre ses ailes
la mémoire.
(Poème inédit traduit de l'espagnol [Cuba] par Marianne Millon)
Dans le Parc central, on donne de rendez-vous interlopes, on encaisse des paris, un vieux pédé vous dit tout bas "Une pipe?" C'est plutôt la Havane de Reinaldo Arenas: militaires assoupis, larmes sordides et regards éternels à la mer verdâtre, oxydée; homosexuels qui s'affichent jusqu'à l'aube, femmes en quête de sexe et de bestialité. Le sang coule et le scandale qui ne vous laisse pas dormir se fait jour. Voici la ville qui n'a pas été reconstruite; et voilà celle que les gens ne parviennent pas à restaurer.
Nous, nous n'avons jamais vu la ville de Cabrera Infante, mais nous avons vécu des années dans celle d'Arenas. ..., et pour être honnêtes, il faut reconnaître que notre vie a déjà été racontée par Pedro Juan Gutierrez. Arenas appartient déjà au passé. Nous, nous voyons déjà des choses que Pedro Juan rapporte sans hésiter, En ce moment, il doit être là-haut, sur sa terrasse, à transpirer nu devant une page noircie, en absorbant tout pour écrire la prochaine.
On ne peut pas dire orphelinat, parce qu'ils n'aiment pas ça, c'est un Centre de Dépot infantile.
J'ai su, de façon définitive et pour toujours, que je ne pouvais pas tomber dans la rue : personne ne viendrait me chercher. Je suis forte parce que je suis seule.
La faculté qu’a la littérature de voler, de voyager seule, de naviguer libre, est incroyable, même si je l’emprisonne entre mes mains nerveuses aux veines apparentes et l’étrangle, elle refuse de devenir une de mes multiples chaînes à perpétuité, vole avec sa personnalité propre, prend son indépendance vis-à-vis de moi, de mes bâillons, et si elle revient, c’est avec un autre accent.
Tout le monde s’en va. Ils me laissent seule. Le téléphone ne sonne plus.
J’attends mon tour, en silence.
La confiance est également une hypothèse sur la conduite future de son prochain.
Excédent de Bagages
"Si on me laissait prendre tout ce qui me manque
Si on me laissait emporter l'île et le miracle
Je n'aurais nulle part où rentrer .
Je ne reviendrai pas vers moi
Ni vers tes souvenirs."
J’étais le dernier témoin du groupe de vacanciers de la plage à être resté dans la ville désertée, aussi racontai-je chaque minute de mes derniers jours là-bas pour décrire ce qui se passait à Cuba. Achevant ma fable, entre larmes et baisers, je me sentis comme une héroïne de la résistance cubaine. Aucun d’entre eux n’était capable de supporter ce que nous supportions tous les jours, à quoi bon, je lisais dans leurs yeux, là-bas il n’avait plus que les résidus, les vestiges, le crépuscule, les figurants et de ce film raté. Nous étions les bêtes de somme destinées à avancer vers l’abîme né de la douleur, de la brutalité, la sottise incohérente et la vulgarité, supportant le peu qu’il nous restait de cette utopie née dans les années 1960.
Personne ne devrait rester très longtemps dans un endroit où on le rejette, mais je navigue en cercles, sombrant dans l'étang de ma propre défaite sociale. Je me sentais sur le point de me noyer dans mes larmes, mes propres vers, écœurée par ma propre écriture blablabla, étranglée dans la brume surveillée de l'éternelle touffeur de l'été. Une main apparut dans l'obscurité. Je la pris sans poser de questions et sortis résolument de l'eau.