Une bande de quatre jeunes gens (enfin, pas des gamins non plus) tente un petit cambriolage, a priori sûr et sans danger. Les voilà partis de toit en toit jusqu'au domicile d'un défunt dont la demeure est censée être vide. Erreur qui va s'avérer fatale et facteur d'un grand nombre de bouleversements. Ils ont juste le temps de récupérer chacun un objet dans une grande malle avant de devoir s'enfuir, découverts pendant leur larcin par des personnages monstrueux : une épée, un manteau, un masque et une plume. Les catastrophes vont dès le lendemain s'accumuler sur leurs épaules. Ils doivent fuir.
Le roman commence sur un ton léger, guilleret. Les personnages virevoltent (enfin, pas Marcello, un peu trop lourd pour cet exercice ; d'ailleurs, lui reste au niveau du sol, sur un âne, c'est plus prudent) de mur en toit ; leurs langues aussi volent : les envolées lyriques sont nombreuses, tout comme les jurons les plus grossiers et les plus imaginatifs (Fauve y est particulièrement habile, lui l'écorché vif). Mais rapidement, le tragique transparaît. Chacun de ces personnages est blessé. Chacun d'entre eux a subi, subit encore, des vexations, des injustices. Chacun a quelque chose à prouver, quelque chose à cacher, quelque chose à panser.
Et le vol de ces quatre objets va les précipiter vers leur destin, comme on dit souvent avec grandiloquence. Mais dans ce cas, c'est vrai : ils fuient leur ville et vont tenter d'échapper à cette noirceur qui les poursuit. Mais cela ne se peut. Et même si
Raphaël Bardas habille cette errance de sourires en coin et de jeux de mots, le fond reste sans grand espoir. Car les objets dérobés portent en eux une magie puissante et terrible, représentants puissants de l'Art Sinistre. Ils sèment la mort sur leur passage et conduisent les amis de Charybde en Sylla, de noces tragiques en festin macabre. Et toujours le spectre de Crachemort, la terrible, plane au-dessus de cette région.
Les phrases qui précèdent peuvent donner l'impression que la lecture des Fourneaux de Crachemort est lugubre. Ce n'est absolument le cas. Et c'est ce que j'ai grandement apprécié.
Raphaël Bardas est parvenu à maintenir un équilibre sur le fil tout au long de son roman. On passe du rire aux larmes, du grandiloquent au léger. Les personnages, attachants malgré leurs blessures, grâce à leurs blessures, ne peuvent nous laisser indifférents. Certains comportements attendrissent, d'autres agacent (Fauve, souvent, m'a dérangé, mais j'ai vite compris qu'il ne pouvait faire autrement, avec son passé). Et j'ai beaucoup aimé le ton proche de la commedia dell'arte : de l'humour parfois grossier, souvent en-dessous de la ceinture (le sexe est ici sans tabou, sans gêne la plupart du temps, libre et agréable). D'ailleurs Fauve et Catane jouent la comédie, avec talent, devant des publics conquis. Entre autres par leurs jeux de mots. Et l'auteur, de son côté, s'est bien lâché : le restaurant ambulant que les quatre amis finissent par acquérir pour traverser le pays s'appelle tout simplement le « Fou de Tereukh ». Marcello, le cuisinier aux sens parfaits, invente la pizza, en l'honneur de Picea. Mwandishé, une des quatre protagonistes s'essaie également à l'humour : quand on parle de fromage et de gorgone, elle invente la « gorgone Zhola ». Fin du petit florilège, qui est tout sauf exhaustif. de la truculence et du rythme, un cocktail qui m'a énormément plu. Et j'ai apprécié un fin rapide, sans fioritures, sans feu d'artifice, sans atermoiements excessifs. C'est un peu abrupt, mais finalement logique.
Je n'ai pas encore lu les précédents romans de
Raphaël Bardas parus aux mêmes éditions Mnémos. Mais il est évident que
Les fourneaux de Crachemort ne peuvent que me donner envie de les découvrir le plus rapidement possible. L'auteur possède un sens de la narration que j'ai aimé, une verve dans la parole que j'ai appréciée. Ce voyage vers les étendues glacées du nord, au milieu des créatures fantastiques qui les habitent, accompagné d'une troupe de comédiens, d'une autrice et d'un cuisinier de talent, a été un grand moment pour moi.
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