des chiens qui aboient
y a des chiens qui mordent ma sœur
des chiens qui aboient méchamment
ce sont les gens qui les rendent comme ça
mais ce sont les chiens qui mordent quand même
ce n’est pas pour ça qu’on va pas partir
ni les chiens ni la nuit
ni les chiens de la nuit
n’empêcheront jamais une fraternité
la solennité d’un aller-retour nocturne
ni la peur
en fait c’est surtout la peur qui nous mord
les menaces les cris les interdictions
les histoires des souffrances des parents
et des grands-parents
au-delà il ne reste plus que la légende
tous ceux qu’on n’a pas connus garderont cette aura légendaire
irrémédiable ma soeur
après neuf heures ici on coupe l’électricité
pour faire des économies
et pour permettre aux chiens d’aboyer de partout
mais il nous reste la neige la lune les étoiles
et la peur ma sœur
(p. 24)
je t'aime pas
je t'aime pas m'a-t-elle dit
jamais je ne t'ai aimé
c'est si simple
on a passé des années ensemble
des décennies
des vies et des vies
mais tu vois
tu n'avais pas compris
c'était ironique
c'était comme un jeu
cela me plaît beaucoup de jouer
j'avais lu quelque part dans un best seller
que le jeu rend immortel
et depuis je ne t'ai plus aimé
voilà tout
devant nous des promesses
devant nous des promesses
derrière nous le temps
il y a ceux qui partent et surtout ceux qui restent
et qui rient
le rire diaboliquement amoureux de la vie
c’est lui qui est devant nous
qui semble poser des questions
garde le silence sans se taire
tue en caressant
(p. 22)
il n’apprend même pas ses leçons il lit répète mon père en s’éloignant
alors mon garçon si tu lis seulement laisse tomber
Il faut aller récolter le maïs
dehors mon arrière-grand-père nous attend
ne le laissez plus lire dit-il
cela les prédispose à fumer
et encore ce qui est plus grave c’est que
ceux qui lisent quittent le village
y en a au moins trois qui sont partis et on n’en a jamais rien entendu parler
le tatouage de la source
la source gardait toute l’histoire du village
elle coulait depuis des millénaires
même si quelqu’un lui avait donné son nom au siècle dernier
ensuite un autre et un autre
ils ont tous fait des gestes symboliques
en lui léguant une tasse
une cruche
une croix
un morceau de béton
et bien entendu leurs noms
c’est pas égoïste ça non
c’est un message du temps qui passe
il faut le savoir hein
en plus on fait pas souffrir l’eau
elle s’en fout carrément
c’est pas comme ces noms dans l’écorce des arbres
l’arbre s’il ne meurt pas croît avec le nom
et le nom croît avec l’arbre c’est logique
y a pas de nom qui pourrait tuer un arbre
juste une égratignure
un tatouage
on lui fait un peu mal mais on lui fait changer
de personnalité
et cela on ne peut pas le nier
c’est vraiment quelque chose
dans le monde des arbres
Lire, c’est mourir
parce que lire c’est vivre
tu lis un livre tu gagnes une vie
jour après jour vie après vie
toujours nostalgique d’une autre vie
passée rêvée ou pas encore commencée
Devant nous des promesses
Derrière nous le temps
Il y a ceux qui partent et surtout ceux qui restent
Et qui rient
Le rire diaboliquement amoureux de la vie
C’est lui qui est devant nous
Qui semble poser des questions
Garde le silence sans se taire
Tue en caressant.
Nous sommes la somme de toutes le imperfections de toutes les solitudes
de toutes les pensées errantes...
c’est moi encore moi
et ma mémoire un coffre fort
dont j’ai égaré à tout jamais
la clé
y a des chiens qui mordent ma sœur
des chiens qui aboient méchamment
ce sont les gens qui les rendent comme ça
(p24)