À la fin du tome 4 des Passagers du Vent,
François Bourgeon refermait la boucle que proposait son synopsis initial à Glénat : ses personnages remontaient à bord de la Marie-Caroline. Une boucle, pas une fin. La fin intervient avec ce tome 5 et un personnage haut en couleurs et en relief sous la plume et les pinceaux de Bourgeon, la mer.
Bourgeon dit n'être ni marin ni navigateur mais aimer la mer. Décor naturel vivant et changeant, ce dernier volume du 1er cycle des Passagers du Vent s'achève avec elle. Berceau de la vie, elle est l'alpha et l'oméga du récit et peut-être aussi son personnage principal. le révélateur qui passe chacun à la moulinette, révèle les faiblesses et force les caractères. du pain bénit pour l'auteur, tout à la fois conteur et dessinateur.
Un équipage d'une trentaine de personnes, 350 esclaves à bord : la Marie-Caroline en route pour Saint-Domingue est une réserve de bois d'ébène mais aussi, une véritable poudrière. Après la chute de son capitaine régulier, le nouveau commandement est sinon inexpérimenté, pour le moins décrié. Marins comme esclaves vont en profiter et donner à Isa et Mary matière à nourrir des regrets pour leurs largesses de coeur et d'esprit. Les bonnes pensées ne sont pas toujours récompensées...
Conteur avant toute chose Bourgeon nous fait vivre une traversée riche en action, en surprises et en rebondissements. Il mène ses personnages principaux avec maîtrise et donne aux autres assez de caractère et d'autonomie pour faire d'un récit de marins une aventure palpitante. le conteur épris d'évasion et de réalisme nous émeut, nous transporte et nous tient en haleine.
Bourgeon dessinateur est aussi dans cet album au sommet de son art, sur la mer comme à terre. Attiré par ces grands bâtiments de bois que l'homme habite, que la mer ballotte et qu'on appelle bateaux, il en a étudié toutes les dimensions, tous les compartiments et comportements dans de nombreux ouvrages. Avant même le début de cette série il avait fait les plans d'un navire qu'on trouve à l'intérieur des pages de couverture.
Cet album en tire tous les fruits mêlant avec réalisme puissance et poésie. La vie dans les plantations offre à l'artiste une autre terre de contrastes pour son encre et ses couleurs. du grand art. L'histoire guide le récit dessiné, son découpage et sa mise en scène, des tableaux les plus épiques aux moments les plus intimes, saisis sans voyeurisme. Bourgeon donne vie à ces scènes autant qu'à leurs personnages. On lit un livre oui, mais tout ce qui s'y passe et s'y dit nous semble animé. On lit un livre oui mais quand on le referme on s'en souvient comme d'un film.
À la fin de cet album on se demande quelle sera la prochaine aventure que Bourgeon et ses passagers nous feront vivre... maintenant on sait, on est sûr que le cycle qui s'achève est un chef-d'oeuvre. le fruit d'un conteur et dessinateur hors pair, artisan inspiré et exigeant, tenace et solitaire.
Un maître.