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EAN : 9782847424577
264 pages
Le Passage (13/01/2022)
3.73/5   24 notes
Résumé :
À Hersanghem, quelque part dans le nord de la France, la braderie d'été bat son plein. Mais, depuis quelques heures, différents incidents entravent le déroulement des festivités. Un cortège très déshabillé traverse le pont sur la Courthe, tandis que l'organiste de la basilique Sainte-Fridegonde s'emballe sur son instrument, qu'une chasse à l'homme insolite se prolonge dans le parking souterrain de la place Noire, qu'une future grand-mère se saoule au porto sur une t... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Cette petite ville d'Hersanghem, Arakelian la parcourt avec un oeil attentif, curieux de l'instant saisi, autant que de ce que cache une scène au delà des images, de l'histoire, de la géographie, des légendes ou simplement des vies occultes, balayées par le temps. Ces instants volés au présent sont destinés à son amie, restée à Marseille et peu motivée à le rejoindre. Ce qui était au départ une sorte d'argumentaire en images pour la persuader devient une quête plus profonde.

On visite ainsi les hauts lieux de la commune, et on découvre avec l'auteur des fantômes dans les placards. Et pour ajouter à l'ambiance particulière, la fête du carillonneur se prépare, alors qu'un incident bizarre bloque le trafic du chemin de fer voisin, et que les citoyens s'étonnent de ce vacarme soudain, un bruit assourdissant qu'ils ne parviennent pas à identifier clairement …

Les nus ? On en croise, des nudités intimes, ou exposées, sans ostentation, car elles font partie des rituels quotidiens ou plus confidentiels. Retenons cependant un magnifique défilé de protestations d'un groupe en effet fort peu vêtu.

Deuxième roman original, (le précédent en 2019, le Passage avait obtenu le prix Goncourt du premier roman) tant par son contenu que par sa forme. Une très belle écriture, l'art de suggérer des ambiances très diverses et même cette bonne idée de proposer deux codas.

217 pages le Passage 13 janvier 2022
Sélection POL 2022

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Grégoire Arakelian a été nommé greffier au tribunal d'Hersanghem, ville fictive du nord de la France qu'il découvre et photographie au gré de ses promenades. Il envoie ses clichés à sa fiancée Marie restée à Marseille – le couple bat de l'aile mais Arakelian aimerait la persuader de la rejoindre. Il va se prendre à son propre jeu et essayer de pénétrer plus profondément dans les arcanes de la ville, entraînant le lecteur avec lui, d'autant plus que la grande braderie de la fin juillet bat son plein. Au passage, on rencontre quelques personnes déshabillées qui justifient le titre. ● L'hommage à Pérec, auteur de prédilection d'Isabelle Dangy auquel elle a consacré sa thèse, est évident et se voit dès la page de dédicace. Mais est-il vraiment pertinent d'écrire en 2022 un roman à la Pérec ? Ce roman essentiellement descriptif m'est tombé des mains. La ville fictive d'Hersanghem nous est décrite sous toutes ses facettes mais à vrai dire on n'en a pas grand-chose à faire… Certes, le style est remarquable, mais cela ne fait pas tout… ● Pour résumer mon sentiment sur ce livre, je dirai qu'il est extrêmement bien écrit et extrêmement ennuyeux. ● Je vous conseille plutôt le troisième roman d'Isabelle Dangy, véritablement narratif celui-là, même si la référence à Pérec y est aussi présente : Les Ondes (2023) ; il se passe aussi à Hersanghem et on y retrouve les mêmes personnages secondaires mais il est bien plus agréable à lire.
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Bienvenue chez les gens du Nord

Isabelle Dangy signe un second roman qui démontre une imagination fertile. Sur les pas d'un jeune greffier qui découvre son lieu d'affectation, elle crée Hersanghem, une ville du Nord plus vraie que nature.

Grégoire Arakelian vient d'être nommé au Tribunal de Grande-Instance d'Hersanghem. À la fierté d'un premier emploi vient toutefois se mêler l'amertume d'être seul. Sa compagne ayant décidé de rester à Marseille où elle doit s'occuper de sa famille et où elle a tous ses amis et relations.
Le jeune greffier occupe ses journées à arpenter la ville, à découvrir ses rues, sa topographie, son histoire et à envoyer régulièrement les photos à sa promise.
Le long du quai d'Hazebrouck se trouvent les deux bistrots, le Chaland et Chez Paulette, qui attirent chacun leur clientèle attitrée et qui sont le réceptacle de toutes les informations plus ou moins sérieuse de la ville surtout connue pour sa braderie annuelle. Mais les touristes peuvent aussi apprécier le complexe nautique, un passage à niveau à l'ancienne ou encore un vieux moulin-musée, les amateurs d'histoire locale pouvant se rabattre sur le cimetière, la porte de la Coquille érigée entre les anciennes murailles ou encore la maison d'André Verlacque, peintre proche du couple Delaunay et qui a également été aménagée en musée. On n'oubliera pas non plus les édifices religieux et, bien entendu, le beffroi qui ne saurait manquer dans cette évocation et qui va tenir un rôle important dans ce roman.
Car au fil des pages, cette ville de carte postale imaginée par Isabelle Dangy va s'animer. L'histoire – mais surtout les histoires de ses habitants – va s'incarner à travers les anecdotes, les portraits et l'enquête que mène Grégoire. Il va alors se rendre compte que derrière les faits de gloire des célébrités locales le vernis se craquelle. le fait divers et les comportements déviants s'installent.
Avant qu'un groupe ne déambule dans les rues dans son plus simple appareil, on aura assisté au blocage du passage à niveau, à une chasse à un exhibitionniste dans le parking de la place Noire, à la découverte d'un mort à la brasserie Charbonnier, sans oublier l'incident en haut du beffroi, lui aussi source de fierté locale. C'est donc du haut de cette «tour carrée, crénelée, percée de meurtrières, ornée de puissants mâchicoulis et de quatre échauguettes à poivrières» qu'un carillon va sonner le final étourdissant de ce roman qui n'est pas sans rappeler La Vie mode d'emploi et plus encore Lieux, l'inédit du regretté Georges Perec qui vient de paraître.
Il faut souligner le talent de la primo-romancière à rendre parfaitement crédible Hersanghem et ses habitants, à dépeindre cette ville du nord ancrée dans ses traditions et ses névroses. Un joli tour de force et la sensation de la confirmation d'une plume très prometteuse.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Pour trouver des idées de lecture, je picore un peu partout. Sur Babelio, bien sûr, dans divers magazines et lors du comité de lecture de la bibliothèque. Et c'est justement lors d'un de ces comité que Claudine a si bien défendu ce livre que j'ai eu envie de le lire. de plus, la quatrième de couverture est alléchante et la première de couverture magnifique, représentant un tableau de Magritte ( deux jeunes femmes se promenant dans la rue ).
Pour en revenir à l'histoire, ne cherchez pas la ville d'Hersanghem, elle n'existe pas, j'ai vérifié. Mais elle sort de terre, avec beaucoup de détails, grâce au talent d'Isabelle Dangy. Il n'y a pas vraiment de personnage principal à proprement parler, car tous les habitants qui comptent ont droit à leur moment de gloire.
J'ai donc flâné dans cette ville, au gré des chapitres, allant du cimetière au beffroi, du beffroi aux quais etc, rencontrant parfois des nus, effectivement.
Hersanghem est en pleine ébullition. En effet, c'est jour de Grande Braderie et plein d'évènements s'y greffent. Toute la population se prépare à assister aux diverses réjouissances prévues, lorsque soudain, à 20 heures, place du Beffroi...
Pour savoir ce qui se passe à ce moment précis, et bien, il faut lire le livre car je ne vous en dirai rien.
Bonne lecture !
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Loin des sujets à la mode ( ceux censés faire vendre et montrer combien un auteur est de son temps...donc en ce moment, l'inceste, la violence faite aux femmes, les migrants), il est bon de trouver un roman ambitieux loin de ces terrains par trop labourés. En fait" Les nus d'hersanghem" apparaît comme une vraie pépite originale, ambitieuse, passionnante, que l'on lit d'une traite mais que l'on regrette de quitter.
Isabelle Dangy n'a pas écrit un essai sur Georges Perec pour rien, tant son deuxième roman pourrait tout à fait être un hommage au grand écrivain, évidemment à "La vie mode d'emploi" en plus court et beaucoup facile d'accès. Cette façon de nous faire pénétrer dans une ville par ses bâtiments et les personnes qu'ils renferment y fait fortement pensé.
Hersanghem, ne cherchez pas, n'existe pas. C'est une création de l'auteure et ça pourrait être n'importe quelle ville de France. Sans doute au moins une grosse sous-préfecture ( elle possède un tribunal), la ville nous est présentée par une belle journée d'été, un jour de grande braderie. On la sent assez touristique grâce à un certain patrimoine historique, cerclée de vignes, un peu touristique, essayant de s'ouvrir vers la modernité et renfermant quelques secrets. Nous naviguons au gré des envies de la narratrice, de la piscine municipale à la pharmacie vieillotte tenue pas deux soeurs, de l'imposante bâtisse moderne noire qu'est le tribunal au parking souterrain de la grande place ( noire elle aussi). On y rencontre des habitants dont nous connaîtrons quelques moments cruciaux de leur vie mais aussi leurs pensées. Chacun est un petit roman à lui tout seul et peu importe que l'on saute de l'un à l'autre au gré de la fantaisie d'Isabelle Dangy, tout est parlant, intriguant, passionnant. On pourra les recroiser quelques pages plus loin, car, bien qu'illustrant parfaitement cette ultra moderne solitude actuelle, ils ont quand même quelques interférences sociales.
Ce qui pourrait s'apparenter à une sorte de guide touristique endiablé qui n'oublie pas les habitants de la ville qu'il décrit, se double d'un petit suspens évoqué à la fin de chaque description de lieu mais surtout se triple d'un défi oulipien ( qui donne le titre au roman). En effet, dans chaque chapitre, il y aura au moins un personnage nu, que ce soit un dessin sur un mur, une jeune fille se rhabillant dans un cabine de la piscine municipale, un mort sur sa table de thanatopraxie, une dame attendant ses invités pour fêter son anniversaire de façon libertine, ... Et comme Isabelle Dangy à de l'imagination à revendre, disons que cette nudité va crescendo...
Vous l'aurez compris, il n'y a pas que Houellebecq ou Lemaître en ce moment, il y a ce formidable roman ludique et remarquablement bien écrit, classiquement certes, mais dans une langue, légère, précise et toujours un poil humoristique. Cela aurait pu s'intituler "La ville mode d'emploi", mais tel que titré, " Les nus d'hersanghem" se révèle comme la pépite de cette rentrée qui, espérons-le, trouvera le public qu'il mérite
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Le beffroi d'Hersanghem n'est pas le plus haut d'Europe, ni le plus ancien, puisqu'il a été construit seulement à la fin du XVIe siècle, à l’époque où la ville a obtenu du seigneur local le droit de sonner la cloche. Ce n’est certainement pas le plus beau: les visiteurs le trouvent en général massif, trop sombre, et vaguement disproportionné. Mais enfin c'est un beffroi, source de fierté locale. L'une des brochures éditées par l'office du tourisme, également vendue au Toton, précise qu'il forme « une tour carrée, crénelée, percée de meurtrières, ornée de puissants mâchicoulis et de quatre échauguettes à poivrières ». Cette brochure attire l'attention sur la bretèche ornementée où le bourgmestre paraissait jadis pour parler aux habitants, ainsi que sur la flèche spiralée, très rare, qui, au-dessus d'un lanternon, orne le haut de l’édifice.
Des oriflammes de métal doré garnissent la base de ce lanternon; d'en bas, on les distingue mal, mais les cartes postales, les marque-pages, les écussons aux armes de la ville, et même les chopes de faïence qu'on peut acheter au marché les reproduisent grossièrement: elles représentent Mélusine, reine des sentinelles, avec ses jambes de femme à peine soudées en queue de serpent, sa poitrine bombée, sa bouche grande ouverte sur un cri d'avertissement muet. La légende de la belle et triste épouse du comte Lusignan, calligraphiée en caractères gothiques, accompagne la plupart de ces dessins, dont la facture simpliste ne parvient pas à exprimer le charme troublant de la fée. Le vent là-haut caresse en solitaire son buste nu.
D'après la même brochure, le carillon comporte trente-quatre cloches dont chacune possède un nom. La plus célèbre est Vigneronne — mais ce n’est pas elle que l'on entend sonner ce soir. p. 230-231
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Le nombre de personnes qui voudraient être libraire à la place du libraire est assez considérable. Il y a bien entendu plusieurs professeurs des établissements scolaires voisins, dont Ghislaine Dufour, qui en ont souvent plus qu’assez de leur prétendu rôle d'éducateur et qui se verraient bien assis paisiblement derrière la caisse à proximité d'une belle pile de livres d'art à feuilleter les nouveautés où à les commander pour d'autres, en humant à longueur de journée l'odeur envoûtante de la colle et du papier imprimé.
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Prélude
Quand on quitte la capitale en direction du nord-est, on rencontre une région de bois, d’étangs et de collines, puis une longue plaine en pente douce paresseusement brassée par les bras décharnés des éoliennes, et enfin, tout au bout d’un plateau crayeux où flotte, à la fin de juillet, la poussière soulevée par les moissonneuses, la ville majestueuse ­d’Hersanghem, posée comme une grosse tortue grise au pied des coteaux d’Houlage et de Sacremont.

Grégoire Arakelian, lui, ne venait pas de Paris mais de Marseille le jour où, en avril, il est arrivé ici. Après avoir emprunté, sous un soleil rayé d’averses, le sillon rhodanien et la vallée de la Saône, il avait quitté l’autoroute et obliqué vers sa destination. La départementale qu’il suivit sinuait entre des champs et des forêts d’un vert vif, un vert intense et cru de saison nouvelle. Soudain la végétation s’effaça, et, du sommet d’une colline, il aperçut Hersanghem. Il était environ 19 heures. La ville lui apparut comme une carapace luisante de pluie d’où dépassaient, telles des antennes, le beffroi, le clocher massif de Sainte-Fridegonde, les cheminées de l’usine Hermobois et les tours en quinconce du cours Saxo Grammaticus.

Cette vision lui plut. Il rangea sa voiture sur le bas-côté, fuma une cigarette et prit, à l’aide de son téléphone portable, la première d’une longue série de photographies. Il l’envoya immédiatement à sa fiancée, Marie, restée à Marseille. Il n’avait pas prémédité ce geste, mais à peine l’eut-il effectué qu’il lui parut d’une évidence absolue. Par la suite, entre avril et juillet, il lui expédia plusieurs centaines d’images, saisies au cours de ses promenades diurnes et nocturnes – surtout nocturnes, car le jour il travaillait et, la nuit, il dormait mal, se relevant régulièrement pour déambuler dans les rues. Chacune de ces photos était un témoignage de ce qu’il percevait, mais aussi un appel chargé d’une timide insistance.

Marie et lui s’étaient connus quatre ans plus tôt, à l’université. Ils n’avaient pas tardé à vivre ensemble et avaient prévu de se marier, mais, au dernier moment, Marie, qui craignait de se sentir déracinée, n’avait pas voulu le suivre à Hersanghem où il venait d’être nommé, pour son premier poste, auprès du tribunal de grande instance. Du moins pas tout de suite, avait-elle répété d’une voix réticente. Laisse-moi le temps de réfléchir.

Ce refus avait meurtri Grégoire Arakelian qui se croyait assez aimé pour qu’on le suive au bout du monde. Il avait demandé à sa fiancée si elle pensait le rejoindre bientôt, et s’il devait louer un appartement pour un couple ou pour lui seul. Elle avait répondu sombrement qu’elle n’en savait rien. Pendant les semaines qui précédèrent son départ, il se persuada peu à peu que Marie s’était lassée et saisissait au vol l’occasion qui lui était offerte de se séparer de lui. Il lui en parla, lui demanda d’être honnête. Elle répondit d’une voix tremblante qu’elle l’aimait, que son départ était un déchirement, mais qu’elle ne pouvait se résoudre à quitter Marseille, où elle avait toujours vécu et où elle avait des attaches profondes. Sa sœur, ses amis, sa mère presque impotente… Grégoire Arakelian tâcha de réprimer sa déception, son chagrin. Les derniers jours qu’ils passèrent ensemble se partagèrent, dans une atmosphère d’incompréhension réciproque, entre tendresse et amertume.

C’est dans cette douloureuse disposition d’esprit qu’il avait fait le voyage jusqu’à Hersanghem. La photo expédiée depuis la colline aux abords de la ville le soulagea un peu de son chagrin, et il en fut ainsi par la suite, à chaque fois qu’il appuya sur la touche d’envoi de son téléphone pour faire parvenir à Marie une vue de la ville. Réservant les paroles pour leurs échanges téléphoniques ou leur correspondance écrite, il n’ajoutait aucun commentaire à ces images, qui toutes emprisonnaient dans leur cadre incertain un peu de son amour et de son angoisse.

Hersanghem est surtout connue pour sa braderie d’été, qui attire beaucoup de visiteurs. Elle a lieu chaque année le dernier week-end de juillet. Un festival de théâtre, une master class d’orgue et plusieurs concerts contribuent à animer ces quelques jours pendant lesquels les avenues du centre-ville, habituellement plongées dans un calme provincial de bon aloi, deviennent aussi bruyantes et encombrées qu’un marché oriental. Dans les petites rues les commerçants posent alors, sur des tréteaux branlants, des cartons pleins de marchandises soldées. Les viticulteurs offrent des dégustations gratuites. Mais l’essentiel se passe sur l’espla­nade du tribunal, où les particuliers peuvent louer des emplacements. Un grand nombre de forains, qui ont réservé leur place des mois à l’avance, dorment la veille dans leurs camionnettes et se lèvent avant l’aube pour disposer à même le sol des bataillons de caisses où voisinent des articles déclassés, des stocks d’invendus, des contrefaçons plus ou moins sophistiquées et d’invraisemblables rossignols. Le spectacle est plus effarant que joyeux, mais il hypnotise les foules. Quelques antiquaires regroupés vers le haut de l’esplanade, barricadés derrière leurs tables et leurs buffets luisants de cire d’abeille, jettent un regard condescendant sur ce fouillis de choses mal vieillies que proposent, dans l’odeur des chouchous et de la barbe à papa, leurs miteux confrères.

La braderie offre à peu près tout ce que l’industrie humaine sait fabriquer, de la maroquinerie à l’électro­ménager et des vieux disques noirs aux trains électriques, mais la zone la plus pittoresque rassemble surtout des fripiers. Là le tissu est roi, sous toutes ses formes. Vêtements neufs, vêtements d’occasion, costumes et déguisements. Draps, rideaux, torchons, serpillières. Mais aussi rouleaux et coupons où s’agrafent des étiquettes délavées : batik et madras, velours, toile de tente et toile d’aviateur, chintz et lamé, soie sauvage. Parapluies et cravates. Monceaux de vieilles pelotes de laine. Plaids écossais, kimonos, canotiers.

Le jour des festivités venu, le greffier Arakelian en a le vertige et prend de nombreux clichés. Il aimerait pouvoir saisir aussi le vacarme insensé qui règne parmi les étals et les cartons, la trépidation de l’air chaud, les éraillements de la sonorisation, les rires et les éclats de voix, le grondement lointain des moteurs.

Il a pris ou prendra aujourd’hui en tout vingt-huit photos, qu’il continuera d’envoyer même quand, au cours de la soirée, Marie lui aura enfin fait parvenir sa réponse définitive. Ces photos montrent surtout des perspectives urbaines, des éléments architecturaux ou des personnages familiers. Lesquels sont habillés, évidemment, mais sous les vêtements, comme chacun peut s’en rendre compte au prix d’un faible effort d’imagination, se dissimule toujours la nudité des corps.

Au cœur de la profusion textile presque écœurante qui envahit Hersanghem, des silhouettes dénudées surgissent justement ici ou là. On ne les aperçoit pas forcément au premier regard, mais le téléphone de Grégoire Arakelian les saisit en transparence au passage. Jeunes, vieux, masculins, féminins, enfantins. Debout assis couchés. Mobiles ou figés. Morts ou vifs. Sculptés par l’ombre, tremblants dans la lumière, les nus d’Hersanghem se faufilent comme une aiguillée furtive dans la doublure de la ville.
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À la piscine Charles Warembourg
quasi una fantasia
Nue comme la vicomtesse au solstice, Lauriane Dominguez essore ses cheveux frisés dans une serviette à rayures marron. Son maillot de bain mouillé gît à ses pieds, sur le carrelage, comme une petite bête humide. Dans la cabine contiguë, deux enfants, un frère et une sœur aux voix perçantes, se disputent un paquet de gâteaux. Lauriane distraite regarde sans les voir son affreuse culotte et son soutien-gorge monstrueux, en déconfiture sur le sol. Quand elle se redresse, c’est pour apercevoir, en boule dans le bac du porte-­manteau de plastique qu’elle a pris tout à l’heure au vestiaire, son bermuda délavé et son débardeur mauve orné de l’inscription « Love Kiss », le tout surmonté d’une paire de tongs crasseuses. La peau de son ventre et celle de sa poitrine sentent le chlore. Il est 19 h 30 : une voix enregistrée annonce la fermeture imminente des bassins.

Lauriane passe tout son été à la piscine. Comme sa mère tient la caisse, elle s’arrange pour la faire entrer gratuitement. Cela lui tient lieu de vacances, car elles n’ont pas d’argent pour partir où que ce soit.
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On ne les aperçoit pas forcément au premier regard, mais le téléphone de Grégoire Arakelian les saisit en transparence au passage. Jeunes, vieux, masculins, féminins, enfantins. Debout assis couchés. Mobiles ou figés. Morts ou vifs. Sculptés par l’ombre, tremblants dans la lumière, les nus d’Hersanghem se faufilent comme une aiguillée furtive dans la doublure de la ville.
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Video de Isabelle Dangy (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Isabelle Dangy
http://www.librairiedialogues.fr/ Élise de la librairie Dialogues nous propose ses coups de la rentrée littéraire 2019 : "À la ligne" de Joseph Ponthus (éd. La Table Ronde), "Edith et Oliver" de Michèle Forbes (Quai Voltaire) et "L'Atelier du désordre" d'Isabelle Dangy (éd. du Passage). Réalisation : Ronan Loup. Questions posées par : Laurence Bellon.
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