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Johanna Krawczyk (Autre)
EAN : 9782350877372
160 pages
Editions Héloïse d'Ormesson (21/01/2021)
4.21/5   153 notes
Résumé :
Carmen est enseignante, spécialiste de l'Amérique latine. Une évidence pour cette fille de réfugiés argentins confrontée au silence de son père, mort en emportant avec lui le fragile équilibre qu'elle s'était construit. Et la laissant seule avec ses fantômes.
Un matin, Carmen est contactée par une entreprise de garde-meubles. Elle apprend que son père y louait un box. Sur place, un bureau et une petite clé. Intriguée, elle se met à fouiller et découvre des p... >Voir plus
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« Je suis un mur, construit au fil du temps, pierre après pierre, patiemment, une Antigone suppliciée. le jour par la vie, la nuit par les rêves. le psychiatre m'a conseillé de les écrire pour les mettre à distance et explorer mon inconscient. Je ne suis pas sûre que cette habitude me permette d'abattre le mur qui me sépare de moi-même : plus le temps passe, plus il s'épaissit. »

Carmen, enseignante spécialiste de l'Amérique latine, est à la dérive, comme son couple, incapable d'aimer sa fille, se réfugiant dans l'alcool, ravagée par le suicide inexpliquée de sa mère lorsqu'elle avait dix ans, puis submergée par le deuil récent de son père, réfugié argentin en exil en France comme son épouse. Jusqu'à ce qu'elle trouve sept carnets cachés par son père, son journal intime.

Je vais d'emblée évacuer les bémols. D'abord, un dispositif narratif, certes efficace, mais trop systématique, qui aurait gagné à être cassé : l'alternance de la lecture des carnets et les réactions de la fille avec ses incompréhensions jusqu'à ce qu'explose la vérité, sale et inimaginable pour Carmen. Et enfin, l'aspect prévisible de cette révélation, justement, qui a freiné la tension qui devait monter crescendo et amorti le choc que j'aurais du ressentir. En tout cas très prévisible si on s'est un peu intéressé à la dictature de Videla qu'a subie l'Argentine de 1976 à 1983 : l'Opération Condor qui lance la terrible répression sur les opposants, les 30.000 desaparecidos, les centres clandestins de torture comme l'éEcole Supérieure de mécanique de la Marine ou le Garage Olympo.

Soit. Mais une fois ces quelques réserves exprimées, ce premier roman est excellent dans sa façon de plonger dans les secrets de famille les plus opaques lorsque celle-ci percute la grande Histoire. Et notamment dans sa maitrise des ressorts liés à la psychogénétique voire la psychogénéalogie. le lecteur est en totale empathie avec Carmen, auprès d'elle de façon organique et instinctive. Il l'accompagne jusqu'au vertige dans sa découverte de la violence en héritage. Johanna Krawczyk interroge avec beaucoup de maturité la question de la mémoire, de la transmission,  ainsi que toutes la ribambelles de dilemmes qui en découlent : « le mensonge protège là où la vérité foudroie, pourquoi faudrait-il que la vérité triomphe ? ».

J'ai refermé le livre emplie d'émotions, bouleversée par ce parcours de vie, âpre, douloureux mais avec de la lumière au bout.

Lu dans le cadre du collectif des 68 Premières fois.

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Traumatisée par le suicide de sa mère lorsqu'elle était encore enfant, Carmen, jeune enseignante française, navigue entre alcool et dépression. le décès soudain de son père la laisse définitivement seule face à ses questions sans réponse. Jusqu'à ce qu'elle découvre que cet homme muré dans le silence louait secrètement un box chez un garde-meubles : un bureau, une petite clé, et la voilà plongée dans un paquet de lettres, de photographies et de coupures de presse, au contenu pour le moins explosif...


Curieuse prescience qu'a l'être humain, capable de ressentir sans se l'expliquer le malaise qui l'entoure et qu'on lui cache, au point d'en approcher les rivages de la folie. Mais si l'ignorance, et ce qu'elle prend avec culpabilité pour un abandon et un rejet de la part de ses parents, l'ont empêché de se construire et ont miné sa personnalité, Carmen pourra-t-elle se remettre de révélations tardives, pour le coup totalement dévastatrices ? Pour autant, a-t-on le droit de se taire pour protéger ceux que l'on aime ?


Des années trente à quatre-vingts, en passant par la période péroniste et par la dictature militaire, c'est toute l'histoire de l'Argentine qui se déverse au travers des carnets d'un homme au terrible parcours. Nombreuses sont les scènes difficiles, tandis que se succèdent les violences et les crimes de la police politique. Pour les familles des disparus, enlevés, torturés et massacrés, la quête de vérité n'est toujours pas terminée. Et même si, quarante ans après les faits, quelques procès se sont tenus, combien des bourreaux d'alors ont échappé à toute poursuite ? Protéger les faits par le secret revient à prolonger indéfiniment leur pouvoir de dévastation.


Ce livre bouleversant sur l'avant et l'après « elle », la dictature, est un vibrant plaidoyer sur la nécessité de faire émerger la vérité, si douloureuse soit-elle, pour la mémoire des disparus, pour la résilience de leurs familles, et pour l'avenir de toute l'Argentine. Un premier roman foudroyant, à l'écriture fine et sensible, qui n'en finit pas de faire résonner son multiple questionnement. Et un nouvel auteur à suivre.

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Carmen est poursuivie par des démons qu'elle a du mal à identifier ! le suicide de sa mère est sans doute l'un de ces démons, mais qu'y peut-elle ? Elle ne connaît pas les raisons profondes de ce suicide. Elle semble pourtant porter le passé et les lourds secrets jalousement gardés par ses parents. Son père mort, elle récupère un bureau qui renferme les sept carnets qu'il a écrit et dans lesquels il raconte sa vie, les épreuves qui l'ont façonné, son chemin, ses choix et ses décisions. Carmen prendra alors connaissance de tout le non-dit, des épreuves vécues par ce père en Argentine alors qu'il était enfant, puis jeune homme. Un passé violent qui expliquera les tourments endurés par Ernesto, et la raison pour laquelle il ne voulut jamais s'exprimer.



Mais savoir l'aidera-t-elle a éradiquer ses peurs, ses angoisses, son addiction à l'alcool afin de renaître dans ce foyer d'où l'amour s'est enfui ?

Résilience oui, mais est-elle toujours possible quand, porteur du passé de ses géniteurs, on tente d'interroger en vain son inconscient ? Ce récit ressemble à un accouchement dans la douleur. Cet accouchement permettra-t-il toutefois de donner naissance à un être innocent qui n'aura pas à porter la croix de ses parents ?

Toutes ces questions sont intelligemment soulevées dans ce beau roman dans lequel l'auteure rappelle l'Argentine entre 36 et 80, incluant la période péroniste et l'accession au pouvoir de la junte à partir de 1976. Période troublée de l'histoire de ce pays.

Un roman passionnant et une belle découverte !
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Carmen s'est souvent heurtée au silence de ses parents. Sur ses origines, sur des incohérences, sur le voile qui obscurcissait parfois leurs regards. Et sur l'origine des démons qui la tourmentent et mettent à mal les frontières entre folie et désespoir. Les limites seront franchies lorsqu'un message d'un garde-meuble, l'avertit qu'elle doit récupérer le contenu d'un box loué par son père avant son décès. Les secrets qui y sont cachés vont faire surface comme autant de bombes à retardement, aussi dramatiques que mortifères.

Il m'a fallu quelques jours de répit avant de revenir sur ce roman et tenter d'en écrire les effets secondaires que peut susciter cette lecture. La violence des révélations et l'empathie pour cette jeune femme à la dérive, créent une déflagration qui vous laisse KO une fois la dernière page tournée.

Et l'intensité des émotions suscitées par cette lecture est certes liée à l'horreur des révélations mais aussi à l'écriture, qui suit les méandres des pensées désordonnées de Carmen.

Se pose aussi la question de la folie qui la menace et parfois la rattrape, cause ou conséquence ? Héritage épigénétique ou poids des non-dits, comme autant d'armes pointées dans le dos par un agresseur que l'on n'identifie pas.

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Les sept carnets d'Ernesto

Rarement premier roman n'aura été d'une telle maîtrise et d'une telle force. En retrouvant les carnets de son père décédé, la narratrice va découvrir l'histoire de sa famille. Avant elle est un livre-choc et la révélation d'une formidable romancière!

C'est l'alcool, dès le matin, qui aide Carmen à tenir le coup. Aussi est-ce l'esprit un peu brumeux qu'elle assiste à un suicide. Un homme se lançant sous les roues du métro. Tout de même choquée, elle prévient l'école où elle enseigne qu'elle ne viendra pas. de retour chez elle un coup de fil lui apprend que son père décédé louait un espace dans un garde-meuble. Elle va y trouver un bureau et une petite clé. Après quelques recherches elle va finir par débusquer une cache renfermant sept carnets et extraits de journaux. Peut-être va-t-elle enfin pouvoir faire toute la lumière sur le passé de son père, toujours resté évasif sur sa famille et ses années passées en Argentine avant l'exil. Aussi n'est-ce pas sans une certaine fébrilité qu'elle ouvre le premier carnet.
L'histoire qu'elle va lire est dramatique et la plonge dans les années noires, durant la décennie 1936-1946. le grand-père règne en maître sur sa famille et ses principes éducatifs sont simples. Il a tous les droits sur son épouse et ses enfants, y compris de les frapper quand il le juge opportun. Aussi quand le tyran décide de quitter le domicile pour vivre avec sa maîtresse, c'est d'abord un grand soulagement. Mais il sera de courte durée. Car un homme a compris qu'il pourrait profiter de la situation. Il viole la grand-mère avant de l'abattre.
Dès lors, la seule issue pour son fils consiste à fuir le plus loin possible. Il monte dans un bus pour Buenos-Aires où il finira par trouver refuge dans un pensionnat. Là, il trouve en Marcos, enfant abandonné parce que laid et muet, un ami. Ensemble, il vont grandir et donner un bel exemple de résilience. «Je suis l'antithèse de ton courage. Je bois. Trente-six ans et l'alcool pour ami imaginaire. Il me permet d'avancer et de me déresponsabiliser quand j'échoue ou manque à mes devoirs. Comment as-tu fait, papa, pour ne jamais abandonner? Dis-moi, donne-moi les clés.»
Ces clés sont, on l'aura compris, disséminées dans les carnets. Page après page et année après année, c'est un bien autre portrait qui se révèle à sa fille qui l'a connu taiseux, bien décidé à ne rien révéler de son passé douloureux.
Johanna Krawczyk, en confrontant les épreuves de la fille et du père, en passant par exemple de 1943 à 1991, donne davantage de profondeur au récit. Nous sommes face à une psychogénéalogie fascinante. Un père bien décidé à se battre et une fille qui sombre...
«Le vendredi 20 décembre 1991, entre 12 heures 30 et 12 heures 40, j'ai glissé de l'autre côté de ma vie, de sa légèreté et de sa joie. Ma mère est morte et je n'ai plus fait partie du monde normal. J'avais onze ans et marcher dans la rue, regarder les oiseaux piailler sur les branches, aller au collège, toutes ces activités du quotidien à priori simples étaient devenues irréelles».
On se dit alors que le destin de la narratrice a basculé. On a tort. Les chocs vont s'enchaîner au fur et à mesure de la lecture. Marcos a accompagné son ami au sein de l'armée et ensemble ils s'exaltent pour Peron et ses réformes, pour Evita et son charisme. Sauf qu'ils ne quittent pas leurs fonctions quand la junte militaire prend le pouvoir. Les horreurs vont alors devenir leur lot quotidien.
«Je suis au milieu du vide sur un câble qui ne va pas tarder à se rompre. Je ferme le carnet; peut-être qu'il y a des secrets qui doivent le rester, peut-être que toutes les vérités ne sont pas bonnes à connaître? le mensonge protège là où la vérité foudroie, pourquoi faudrait-il toujours que la vérité triomphe?»
À ces questions vertigineuses, la romancière répond par des révélations, des exactions insoutenables, des crimes de sang-froid. Jusqu'à l'épilogue de ce roman dur et puissant, le lecteur va lui aussi être happé par la violence des faits, par l'image implacable qui se dessine. Que faire quand la vérité est trop lourde à porter? Espérer un ultime rebondissement?
Johanna Krawczyk. Retenez bien ce nom, car je prends le pari que nous en entendrons encore souvent parler!

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Citations et extraits (36) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
Chaque matin je me lève avec l’impression de ne pas être moi, de ne pas être à la bonne place, dans la bonne vie, de n’être qu’un gribouillage sans allure, sans rêve et sans joie, alors je bois un peu, dès 7 heures 30, l’heure à laquelle mon réveil sonne cinq jours sur sept, je bois un peu pour passer le temps, entre deux cours et discussions, et je recommence, jour et nuit, le même traitement, je bois et après je vole, dans la rue, le métro, les escaliers, partout je vole et je regarde les autres, je me détache, une particule abandonnée, dissidente, super puissante, c’est comme ça, des années que je me dis c’est comme ça, tu ne sais vivre qu’en suspension, il faut t’y faire.

PARIS, NOVEMBRE 2016
Je me prépare en quinze minutes malgré l’alcool de la veille qui œuvre encore à me donner la nausée. Enseignante appliquée, je me dépêche pour ne pas arriver en retard et courir désespérée après le temps perdu.
À 8 heures, le pas fébrile, j’effectue mon premier changement à Châtelet et me poste sur le quai de la ligne 7 en direction de Villejuif. Je patiente, embrumée, j’entends le métro arriver. Je tourne la tête et j’en découvre un neuf où il y aura la climatisation et où je n’aurai pas trop chaud, un métro qui sera bondé sans me donner le vertige. Un homme s’approche de moi par la droite, jeune, bien habillé, cravate bleue et chemise blanche sous un costume gris. Il avance comme tout le monde le long des flèches jaunes pour attendre que le métro soit à quai. Derrière, ça grouille. Lui, il ne fait plus comme tout le monde, il ne s’arrête pas, il sort du lot et marche jusqu’au rebord du quai, jusque sur les rails, sous le métro qui le fauche dans un crissement de freins.

Les voyageurs s’enfuient horrifiés.
Je vois les visages pétris d’effroi,
L’accident voyageur, en vrai, en chair, en sang. Mon cœur s’accélère, mon souffle se coupe, je dois sortir.

Dans la ville assourdissante, j’appelle le secrétaire de l’IHEAL pour prévenir que je ne viendrai pas. Je regarde les piétons et je trace, une funambule au milieu des travaux, avant d’entrer dans ce bar, le premier que je croise, un PMU en fin de vie sans odeur de clope. Une double vodka, merci, une autre, merci, une autre! J’enchaîne les verres, mon sac rempli de copies sur le dos. L’obsidienne dans mon ventre s’emballe, alors je bois cul sec et je pense à toi papa, mon roc mon géant, et mort pourtant. Accident vasculaire cérébral irréversible, il y a un an et sept mois. La rengaine du chagrin sans date de départ. Une autre, merci!
Au bout de quelques minutes et shots, l’obsidienne cesse de s’agiter. Je paie, pars, titube. À l’air libre, je lève le nez et je déchire le jour, je réalise de belles figures avec mes jambes. Je me sens pousser des ailes, mais je tombe. Je me relève, pas mal, et j’aperçois un immeuble de briques rouges. Je suis Spider-Woman, je vais grimper tout en haut, je verrai Paris, je sauverai les suicidaires!
Un trio de mésanges traverse le ciel. Si Raphaël me surprenait, il aurait honte. Je détruis notre mariage, une briseuse de promesses! Je prends un vélo, hop la barre, je tombe, je remonte, tourne la manivelle, il n’y en a pas, je pédale.
Je suis une girafe ivre.
Une girafe ivre qui pédale dans Paris.

J’arrive devant une grande grille métallique bleue. Ma porte. Au cinquième étage, mon cocon, je m’allonge enfin et mon téléphone sonne.
Numéro inconnu. J’hésite, puis je décroche. Une voix féminine évoque un garde-meuble, des impayés… Ernesto Gómez.
Un rire nerveux s’étouffe dans ma gorge. Elle réitère.
C’est mon père… il est mort.
Je tire les rideaux tant le soleil m’éblouit et j’entends :
« Récupérez ses affaires ou tout sera détruit. »
Je ne sais plus où je suis, je sombre.
Il fait noir, nuit peut-être, et je me sens courbaturée. Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est. Raphaël n’est pas encore rentré avec Suzanne. Je m’étire, me tourne sur le côté, la couette sous l’oreille, prête à me rendormir dans la position du fœtus quand le flash me saisit : l’appel.
J’attrape mon portable, le numéro inconnu est là, les informations me reviennent.
Tu avais un garde-meuble, papa ?
Je me redresse dans un sursaut et regarde ma montre. 18 heures. Si je pars maintenant, j’ai encore une chance de récupérer tes affaires.
Le garde-meuble Presto-Secure, près de la station Gallieni, est un immense bâtiment sans fenêtre qui s’enfonce dans le sol et me donne le tournis. La femme que j’ai eue au téléphone, mon âge sûrement, la trentaine un peu passée, jolie et très maquillée, m’annonce que tu louais ce box depuis cinq ans. Elle me présente ses condoléances, me tend une facture, une clé, et m’indique le troisième sous-sol.
Voyant que je ne bouge pas, que je reste muette, elle agite son bras dans les airs : « L’ascenseur, c’est là-bas ! »
Je pivote. Mon corps me porte tandis que ma tête pense en solo, pourquoi ne m’avoir jamais parlé de cet endroit, pourquoi n’avoir jamais parlé de rien ? Tu te souviens, toutes ces fois où je t’ai demandé de me raconter et où tu as refusé ? Un soir au coin du feu, toi paisible dans ton fauteuil et moi fascinée par l’homme que tu étais. Un après-midi en balade le long de la mer, étourdis par le vent. Le jour de mes trente ans. Le jour où je suis allée te chercher au commissariat parce que tu avais insulté des policiers. Combien de fois j’ai voulu percer le mystère, briser les remparts que tu avais construits, faire mienne ta folie; comment as-tu fait?
Torturé, battu, humilié, comment as-tu fait pour continuer de vivre, rire, croire? De m’aimer, travailler, effectuer les petits gestes du quotidien, ces tout petits riens qui font la vie?
Tu es parti sans un mot, et
Je suis devenue orpheline,
Tes cartons chez moi,
Ton corps au cimetière,
Ton fantôme à mes côtés!
L’ascenseur me rappelle à l’ordre. J’entre, et face à moi, un homme d’une quarantaine d’années, perfecto et jeans troué. On se scrute sans un mot. Il penche sa tête vers la droite, style cow-boy, et sort au niveau moins deux.
Je regarde le panneau de contrôle, encore un étage et ce sera mon tour.
Les portes de l’ascenseur se referment dans mon dos. Mon pas est lourd, des picotements de peur s’invitent le long de mes doigts et de mes orteils. Je suis le couloir et arrive devant le box, noyé au milieu d’une dizaine d’autres identiques. L’obsidienne dans mon ventre s’active, cisèle et hache. Je lève la porte coulissante, partagée entre l’inquiétude et l’espoir. J’allume, et j’entre.
Le box est vide. Presque.
Au milieu, trônant en solitaire, un bureau, avec une lampe de chevet et une chaise. Dessus, il n’y a rien, pas même un stylo. Tu aurais détesté avoir cet immense secrétaire moderne en bois massif à la maison. Pourquoi un aussi gros meuble pour si peu de rangements? Je t’entends comme si tu étais à côté de moi, et je vois la mine désolée de maman, n’ayant aucune autre issue que de ramener l’objet du litige au fournisseur en le priant aimablement de la rembourser. Sur deux énormes pieds couleur pin, deux petits tiroirs encadrent le tiroir central, large mais peu profond. Je les fouille, ils sont vides. À l’intérieur, il n’y a rien: ni papier ni objet, ni clou ni vis. Je repasse la main une dernière fois, j’ai dû rater un indice. Je cherche, encore, jusqu’à ce que, tout au fond du tiroir de droite, mes doigts effleurent une petite clé.
Devant Presto-Secure, après trois quarts d’attente, la camionnette de Lucas fait son entrée. Depuis longtemps, les situations complexes, c’est lui. Ce grand brun à la mine aussi pâle que l’hiver me regarde sans poser de questions, attendant les consignes, ami fidèle même après des mois de silence.
Ce soir, sa main compatissante tapote mon épaule. Je le conduis au moins trois. Dans le box, j’étale deux rails blancs sur le bureau. Je pose mon nez, lui le sien, et on porte. Je manque de l’embrasser, le toise, me ravise. Je suis incorrigible : trouble de la personnalité borderline. TPB, la formule du psychiatre.
Après un rendez-vous pris sur les conseils de Raphaël, je me suis retrouvée avec ce tatouage imposé. Méthodique, j’ai lu tout un tas d’articles, état limite, hyperémotivité envahissante, sentiment chronique de vide, comportement puéril ou égoïste, difficulté à gérer la colère, tendances suicidaires, problème d’identité, alcoolo-dépendance, trouble de l’appétit, automutilation. Une liste labyrinthique pour un bilan simple : je suis une cocotte-minute sur le point d’exploser, un élastique qui se tend de plus en plus jusqu’à céder et se retrouver éjecté contre un mur.
Un élastique qui se tend.
Un putain d’élastique à 0,50 centime d’euros.
Borderline.
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Je suis au milieu du vide sur un câble qui ne va pas tarder à se rompre. Je ferme le carnet; peut-être qu'il y a des secrets qui doivent le rester, peut-être que toutes les vérités ne sont pas bonnes à connaître? Le mensonge protège là où la vérité foudroie, pourquoi faudrait-il toujours que la vérité triomphe? Je bois, fais les cent pas, passe l'aspirateur avec acharnement. Je mets de la musique. Très fort. Du hard rock. Je danse à en perdre la tête, m'agite, fais monter les battements de mon cœur, je veux oublier, m'égarer, m'envoler; j'évacue la détresse, et tombe.
Il est trop tard pour ne pas aller plus loin. p. 101
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En 1983, la dictature s’est effondrée. Les chiffres officiels sont tombés. Le régime a entraîné la disparition de 30 000 personnes, l’assassinat de 15 000 autres, l’emprisonnement de 9 000 détenus politiques, et le vol d’au moins 500 bébés.
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Assise en tailleur dans le bac à douche, prostrée, je m’interroge : comment les gens réussissent-ils à cautionner l’enfer ; par ignorance, désintérêt, peur de mourir, illusion de liberté ? Par conviction idéologique ? Non, ceux-là sont une minorité. Toi – une minorité. C’est le confort du plus grand nombre qui permet à l’horreur de s’ériger en système, il est tellement plus confortable d’obéir plutôt que de prendre position, tellement plus confortable de ne rien dire pour ne pas se sentir concerné, de se transformer en automate pour continuer de vivre en se croyant libre. C’est rassurant, l’autorité. Et l’homme sait si bien s’accommoder des faits pour situer sa conscience du bon côté. Mais ; torturer, violer, tuer ? Torturer, torturer, torturer. Elle est là, cette vérité effrayante qui résiste à ma compréhension. Comment autant d’individus ont-ils pu ? Pour se sentir exister, moins misérables, survivants dans une vie faite d’incertitude et d’angoisse ? Comment l’homme peut-il oublier à ce point son humanité ? Comment as-tu pu l’oublier, toi, après tout ce que tu as traversé ?
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La différence de perception m'effraie souvent. Un événement peut être insignifiant pour l'espèce humaine, et, dans un même espace temps, le drame d'un individu.
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Vidéo de Johanna Krawczyk
Johanna Krawczyk vous présente en quelques mots son premier roman, "Avant elle", qui explore les mécanismes du mensonge et les traumatismes de la chair. Avec une plume sans concession, Johanna Krawczyk livre un premier roman coup de poing. Un scénario implacable qui nous entraine de surprise en terreur.
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