Voici un livre qui a bien un petit quelque chose d'intriguant : plutôt bon, et peut-être même un peu plus (j'y reviens), il n'a pourtant remporté aucun prix ni même récolté de notes exceptionnelles sur les différentes plateformes de lecteurs, se hissant tout juste au-dessus du 15/20 – contrairement à tant d'autres livres, qu'on se demande comment ceux-là ont pu atteindre certaines notes extraordinaires, mais je digresse déjà…
Cependant, il a provoqué une ruée de réservations sur Lirtuel (la bibliothèque belge francophone en ligne) dès qu'il est paru à son catalogue, ruée à laquelle j'ai participé je ne sais même plus trop pourquoi… C'est que je n'ai pas compté le nombre de mois que j'ai dû attendre avant que ma réservation devienne enfin emprunt, et je constate avec une certaine circonspection qu'il continue d'être plébiscité auprès de cette bibliothèque, qui indique que le prochain exemplaire de ce livre sera disponible… le 27 janvier 2025 !? (pour rappel, nous sommes aujourd'hui le 6 mai 2024)
Et la première chose que j'ai pensée, c'est « tout ça pour ça ?! ». C'est que ce livre se lit en à peine un peu plus d'une heure – toute cette attente pour une expérience de lecture certes sympathique, mais tellement rapide qu'on ne peut s'empêcher d'en voir toute la disproportion.
Le temps d'
un printemps (eh oui ! il ne faut pas chercher bien loin…), la jeune Adèle, 13 ans, remplit un agenda secrètement piqué à son père (qui les collectionne), afin d'y mettre par écrit son ressenti au fil des jours et des saints – un journal intime, comme le lui a suggéré « Mme Machin », la psy qu'elle voit régulièrement depuis le décès de sa soeur aînée, Élise. Inutile de dire à quel point la mort d'Élise a brisé la famille, et l'on voit tout cela à travers les yeux de la jeune ado, elle qui vit le manque de sa soeur au quotidien, sans pouvoir espérer le moindre réconfort auprès de ses parents, tout aussi effondrés qu'elle et apparemment incapables eux aussi de reprendre pied.
Mais elle a 13 ans, une meilleure amie, Charlotte, avec qui elle peut tout simplement vivre, tandis qu'elle ressent ces premiers émois typiques d'une jeune ado chez qui les hormones commencent à travailler dans tous les sens.
Tout cela, et en particulier ce deuil impossible et pourtant inévitable, car Élise ne reviendra plus jamais comme avant, est écrit avec finesse et justesse. Une certaine légèreté aussi, peut-être trop pour la lectrice adulte que je suis car, si j'ai bien dû essuyer quelques débuts de larmes, je n'ai pas une seule fois interrompu ma lecture, alors que le découpage du livre aurait pu y inviter, si seulement il avait approfondi un peu plus les choses – mais alors il aurait été différent, et bien sûr je respecte le travail de l'autrice tel qu'il est !
Mon regret, qui fait que même si je donne une note légèrement supérieure à la moyenne actuelle, je ne suis pas entièrement sous le charme ; mon regret, donc, c'est que, même si les mots d'Adèle sont terriblement justes, même si sa relation avec Charlotte est rendue avec un réalisme espiègle, même si le lent retour vers un quotidien différent mais à nouveau « normal » de toute la famille est présenté dans un grand respect, etc., on assiste aussi à une espèce d'idéalisation de la disparue, et cela m'a bien un peu gênée.
Élise était la grande soeur que la plus jeune idolâtrait bien un peu, ok. Élise était la soeur lumineuse de la famille, face à une plus jeune, plus discrète et plus effacée, toujours ok, même si en soi c'est bien mal échu que ce soit justement la lumineuse qui ait disparu – le livre aurait sans doute été différent, si c'était la calme effacée qui avait disparu, non ?
Ainsi, Élise est tellement idéalisée qu'on a une première impression qu'Adèle est la soeur terne et sans relief – ce qui ne s'avère pas tellement le cas, finalement, mais c'est ambigu. Et puis bon, on parle aussi d'une jeune fille de 16 ans qui est décédée on ne sait même pas trop comment : 16 ans, c'est le coeur de l'adolescence virulente, et certainement pas l'âge où on continue à supporter l'entichement d'une petite soeur de trois ans de moins ! à moins d'être une sainte ou, pour le moins, particulièrement attentive aux autres… C'est un peu « trop » du coup, on aurait presque préféré une soeur morte plus ordinaire, à qui Adèle aurait eu l'un ou l'autre truc à reprocher, une dispute pas oubliée qui lui pèserait bien un peu, et pas cette image désespérément lisse – et tellement improbable – qu'elle nous renvoie au fil des pages.
Mais bon, ce sentiment est strictement personnel, comme une occasion manquée de donner un peu plus d'ampleur à un livre par ailleurs très bien mené le temps d'
un printemps, avec des mots justes tels qu'on peut les imaginer d'une ado de 13 ans, cet âge où l'on oscille avec encore un pied dans l'enfance, à qui le pire est arrivé, mais qui continue son chemin vers l'espoir et la vie.