[Dans « Une chambre à soi »] Virginia Woolf répond à une question littéraire par des préoccupations financières et matérielles.
Une chambre, un espace, des murs, une clé, de l’argent: c’est aussi, cent ans plus tard, ce qu’il fallait à ma mère, non pas pour devenir une écrivaine, mais pour devenir une femme plus libre et plus heureuse.
Woolf avait compris, cent ans plus tôt, que la liberté n’est pas d’abord un enjeu esthétique et symbolique, mais un enjeu matériel et pratique. Que la liberté a un prix.
(...) Ce rien que dans les classes privilégiées on ne peut pas comprendre, parce que quand eux disent qu'il ne leur reste plus rien, il leur reste toujours quelque chose,
il leur reste des diplômes,
il leur reste la culture,
il leur reste quelques pièces,
il leur reste des relations pour les aider,
il leur reste la volonté que confère les privilèges.
Je pensais : Une revanche de plus pour elle.
Si la liberté n'est pas une revanche, alors elle n'est pas une liberté, voilà ce que je crois.
Elle n'avait jamais fait quoi que ce soit pour elle-même. Sa vie avait été, jusqu'à maintenant, une vie pour les autres.
"(..)Fuir et se libérer demandent une telle énergie que, souvent, en cours de fuite, on renonce et on fait demi-tour."
Je me rappelais avoir lu dans un livre d'histoire qu'un jour on avait retrouvé des corps de femmes du néolithique au squelette fracturé par la violence des hommes. La violence que vivait ma mère avait l'odeur des grottes et des cavernes de la préhistoire, l'odeur de la violence millénaire.
(...) je n'éprouve aucun regret pour ce que j'ai dit dans cette librairie où elle était venue par surprise, puisque ma blessure et la sienne sont liées, puisqu'elles sont jumelles, sans réparation, sans frontière, je ne regrette rien puisque ce qui l'avait blessée, c'était que j'exprime ma blessure à moi, je ne peux pas regretter puisque sans cette Blessure commune, cette Blessure qui n'est ni à elle ni à moi mais qui est entièrement à nous deux, rien de tout ce qui se passait, entre Paris et Athènes, à distance, par téléphone et écran interposés, n'aurait été possible.
Je pourrais dire : Pas de souffrance dans mon enfance = pas de livres publiés = pas d’argent = pas de liberté possible. Je pourrais dire que la souffrance et la liberté sont les deux moments d’un même processus, les deux mouvements d’une même partition.
J'avais arrêté de passer des après-midi ou des nuits avec ma sœur. C'est ça aussi la distance de classe : ne plus pouvoir chanter à deux sans une voiture, n plus pouvoir rire ensemble dans les rayons d'un supermarché.