Quelle place pour notre humanité en temps de guerre ? François Lecointre, ancien chef d'état-major des armées, revient sur sa carrière de militaire et s'interroge notamment sur la question de l'honneur, lorsqu'on est confronté au pire dans son livre "Entre guerre". Dans son récit autobiographique, l'ancien soldat y retrace ses dilemmes, ses doutes, ses peurs à travers ses expériences de guerre en Arabie Saoudite, en Irak, en Somalie, au Rwanda, à Djibouti ou à Sarajevo. Commentant l'expression de Maurice Genevoix, "l'expérience incommunicable de la guerre", l'ancien chef d'état-major revient sur le statut de soldats et la vision qu'à la population de ces derniers, paraissant surprise qu'ils puissent éprouver les mêmes émotions et peurs qu'elle. Pourtant, comme il le souligne, des efforts sont faits aujourd'hui et on s'intéresse aux conséquences de la guerre sur la santé mentale des soldats, notamment à travers les troubles post-traumatiques. C'est avant tout cette expérience humaine que François Lecointre a souhaité coucher sur papier dans son autobiographie. "Je m'arrête sur cette expérience très intense de jeune officiel, qui au milieu de ses soldats, vit ce condensé d'humanité", a-t-il expliqué sur le plateau faisant par exemple référence aux questionnements sur les objectifs de la mission, une interrogation qui revient régulièrement dans la tête des soldats qui doivent faire face à la mort.
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Parvenu au terme de ce cheminement laborieux, je sais désormais que la fraternité n'est pas un simple sentiment, qu'elle n'est pas constituée d'émotions pures qui s'imposeraient à nous au gré d'affinités particulières que nous aurions, ou non, la chance de pouvoir ressentir.
La fraternité est bien plus que cela. Il s'agit en réalité d'une disposition de l'esprit à laquelle chacun de nous doit s'asttreindre. D'une posture morale par laquelle nous devons rechercher le besoin qu'inévitablement nous avons de l'autre, identifier lucidement chez lui les talents, la force ou les faiblesses qui compléteront les nôtres et les équilibreront.
Etre frère, c'est se défaire de soi, c'est accepter d'être dépendant.
La vérité que nos images dénonçaient ne pouvait pas être dite dans les journaux pour lesquels ils travaillaient. C'est ce jour-là que j'ai découvert jusqu’où pouvait conduire, dans certaines circonstances, le respect de la fameuse « ligne éditoriale ».
Je ne prétends surtout pas porter le moindre jugement sur le métier de journaliste. Je finissais par bien mesurer, engagement après engagement, qu'il est impossible de rendre compte, dans toutes ses nuances, de la complexité du réel. Que cette complexité et ces nuances n'intéressent probablement qu'assez peu la majorité des lecteurs. Qu'elles ne sont que modérément enthousiasmantes et, qu'en tout état de cause, le moloch de l’opinion publique ne s'en satisfait pas.
Aveuglée par l'illusion d'un monde où la guerre aurait pu devenir définitivement obsolète, notre société ne voulait pas regarder en face la permanence de la conflictualité et de ses mécanismes, de ses motivations ordinairement humaines.
Convaincus en toute bonne foi d'accéder enfin à un stade de civilisation ultime où l'homme devenu bon et débarrassé de ses instincts belliqueux serait désormais tout entier voué au bonheur tranquille de la jouissance matérielle, la plupart des Européens ne considéraient plus la guerre que comme une forme particulièrement abjecte de barbarie. Et ceux dont la vocation était de la faire comme la part la moins évoluée du genre humain.
Vouer sa vie à la perspective d'un combat n'est pas une chose aisée. Et la méconnaissance de la réalité d'un tel paroxysme et de ce qu'il comporte de confrontation avec la mort rend la chose plus difficile encore. Avec, au coeur, le douloureux mystère de ce que serait notre attitude lors de cette plongée dans l'extrême de la violence.
Etions-nous soucieux du sens de cette guerre ? Je ne le crois pas. Tout à nos inquiétudes immédiates, nous nous réfugiions avec une sorte de soulagement dans la certitude que ce pour quoi nous allions combattre était nécessaire et juste, puisque nos chefs nous le commandaient.
Un soldat combat toujours dans l'espoir de parvenir à la paix. Elle est son horizon ultime. Mais si le politique a décidé de l'engager dans l'atteinte d'un tel objectif, c'est pour qu'il s'y efforce en faisant son métier de "soldat de guerre".
Le regard d'un enfant affamé et harassé de fatigue après des semaines de fuite éperdue est aussi bouleversant que celui d'un orphelin au crâne enfoncé par les coups de machette qui ont tué ses parents.
Chacun est libre d'avoir ses convictions et idéaux, mais nul n'a le droit, surtout s'il est jeune, de les imposer à toute force à ceux qui n'en veulent pas.
J'en sais désormais suffisamment pour ne pas me croire préservé, par ma simple qualité d'homme, du surgissement de l'animal qui gît en moi.
"[...] on attendait du droit que, sans la force, il triomphe de la violence."