La théorie des ondes de
Pascale Chouffot est une importante découverte littéraire. Foisonnant, dans un style dense et recherché, le roman met sur le devant de la scène une héroïne attachante, qui après son départ de la police ferroviaire est devenue enquêtrice pour Maître Pierson, une pointure du barreau chalonnais.
A la suite d'un accident, Catherine ne ressent plus la douleur, qui est justement – à mon avis – le thème central de l'intrigue, qu'elle irrigue comme la Saône omniprésente, jusque dans ses recoins les plus sombres et inavouables. L'intention de
Pascale Chouffot est d'ailleurs affichée dans son exergue emprunté à
Henri de Lubac : « Toute souffrance est unique et toute souffrance est commune. Il faut me redire la seconde vérité quand je souffre et la première quand je vois souffrir les autres ». Voilà qui est clair.
A Chalons, le carnaval bat son plein, autorisant tous les excès et dérives. Au milieu de cette « liesse populaire », Catherine éprouve davantage d'effroi que de dégoût.
Le carnaval, manne financière pour le tourisme et le commerce peu regardants, représente pour elle l'aboutissement de longs mois de frustration, de désespoir, de misère autorisés à se défouler une fois l'an dans une joie avinée et sans entrave dans une ville transformée en guinguette à ciel ouvert, où règnent en hordes décomplexées les ivrognes obscènes, poivrots paillards, bambocheurs, noceurs, luxurieux, partouzeurs et pourquoi pas... meurtriers... A Dunkerque, comme à Bayonne ou Chalons... Les faits donnent raison à Catherine lorsque le cadavre d'une jeune fille suppliciée est retrouvé sur les bords de la Saône, créant un électrochoc peu burlesque dans la population. Car la morte n'est pas la première, de nombreuses autres sont devenues au fil du temps des enquêtes irrésolues, des cold cases pour les bilingues.
Depuis des années, les policiers sont restés sans coupables, les avocats sans plaidoiries, les familles sans réponses à leurs souffrances... Catherine, n'éprouvant plus la douleur endosse celle des victimes, s'enchaîne à leurs tourments et par tous les moyens tente de rendre justice aux martyres. Quel grand et beau roman aux multiples et riches ramifications : des protagonistes nombreux et intéressants ; une fine analyse sociologique du carnaval ainsi que des conséquences sur la région de la désindustrialisation avec la fermeture de Kodak, restée célèbre pour le discours cynique de son P.-D.G lors de la destruction de l'usine américaine : « What a nice day for revolution ». En France aussi l'usine a été liquidée. Son implosion a entraîné l'explosion de vies, après des plans de restructuration, doux euphémisme pour dire licenciements, déclassement, chômage, misère.
Mais la romancière ne se contente pas de ce regard contemporain. Elle gratte aussi – à la manière de Didier Daeninckxs – les écrouelles de l'Histoire sous lesquelles grouillent des secrets d'Etat peu reluisants, comme par exemple l'abandon de son obligation de prise en charge des enfants de l'Assistance publique, transférés dans des discrets établissements privés où seul compte le profit. Déjà, fin XIXème et début XXème, l'Etat savait comment faire des économies en s'attaquant aux plus vulnérables et pauvres. Et ainsi naquirent les Colonies d'enfants du Morvan, un détail de l'Histoire. Merci à
Pascale Chouffot pour ses phénoménaux travaux de documentation, intégrés avec talent dans un roman noir passionnant et très agréable à lire. J'attends avec impatience la suite des enquêtes de Catherine.