« … mes parents me donnèrent le nom de Mira, ce qui signifie, dit-on,
« paisible, aimable et miraculeuse ». Paisible, je ne le suis certainement pas ; pour ce qui est d'être aimable, je m'y emploie ; quant aux miracles, c'est bien simple : ils m'accompagnent depuis ma naissance. Mon arrivée dans ce monde fut un miracle… »
Si on devait résumer de façon réductrice ce très beau roman d'Alena Mornštajnová, on pourrait dire qu'il s'agit de l'histoire d'une petite orpheline, Mira, qui est adoptée par une tante très étrange, et que cela se déroule dans l'entre-deux-guerres en Tchécoslovaquie…
Mais ce roman s'ouvre par un événement tragique qui s'est réellement produit et que l'auteure a tiré de l'oubli parce qu'il avait touché aussi sa propre famille : une grande épidémie de fièvre typhoïde en 1954, qui s'était produite dans sa ville natale à Valašské Meziřiči, en Moravie, à cause de la pollution de l'eau d'un puits.
La 1re de couv. du livre, illustrée par un petit chou à la crème recouvert de glaçage, désigne le responsable de la diffusion du mal.
C'est l'hiver, et Mira va à la rivière gelée pour chevaucher des blocs de glace, bien que ses parents lui aient interdit d'y aller jouer… Et pour punition, elle sera privée de dessert… Tout le monde va manger ces petits choux à la crème sauf elle…
Mira, alors âgée de 9 ans, va perdre toute sa famille et va se croire seule au monde.
Ce ne sera qu'après un certain temps qu'elle découvrira que sa tante
Hana, qui a également contracté la maladie et passe pour morte, a finalement survécu dans un hôpital éloigné et revient à la vie après une longue et douloureuse convalescence.
Sa tante
Hana est une femme très étrange, pour laquelle Mira éprouve d'abord de la répulsion, parce qu'elle est mutique, semble mentalement toujours absente, déteste qu'on la touche, ne sourit jamais, et parce que son apparence physique est déplorable, étant donné qu'elle est très maigre, a la bouche édentée, s'habille toujours en noir et que ses cheveux sont complètement blancs alors qu'elle est encore assez jeune…
Mais Mira finit par se faire à l'idée que cette tante est son unique possibilité, son unique espoir dans la vie. Et la tante et la petite nièce vont commencer à vivre ensemble…
C'est alors que Mira va petit à petit découvrir le passé d'
Hana et les méandres de l'histoire tragique de sa famille juive…
Qu'on ne s'y trompe pas, ce roman n'est pas un livre sur l'Holocauste. C'est plutôt l'histoire de trois générations d'une famille juive, représentée par trois personnages féminins : Elsa,
Hana, et Mira, respectivement la mère, la fille et la petite-fille. Dans cette histoire qui commence dans l'entre-deux-guerres, on suit les relations compliquées entre les membres de la famille et leur entourage, leurs amours, leurs croyances, leurs espoirs et aussi leurs déceptions, leurs malheurs, leurs trahisons et leurs fautes, commises dans les moments décisifs de leur vie.
Hana est de ces êtres malheureux qui apportent le malheur à eux-mêmes et à leurs proches. Presque toutes les décisions qu'elle prend dans les moments cruciaux de sa vie, tournent au désastre.
En fait, ce que
Hana prend pour sa faute, ce qu'elle se reproche, n'a jamais été fait avec une mauvaise intention… Elle ne pouvait pas prévoir la façon dont ses décisions changeraient son destin…
Sans trop en dire et pour permettre à chacun de découvrir lui-même ce roman, on peut révéler peut-être au moins qu'au début, la vie de
Hana est pleine de promesses. Adolescente, elle est belle, croit au bonheur, à l'amour et à la fidélité, et elle ne se rend même pas compte qu'elle est juive. Mais ses espoirs fragiles sont balayés par les secousses de la grande Histoire, la guerre et la haine raciale.
« S'il y a quelque chose qui teste l'authenticité de la vie humaine, c'est la souffrance. Et s'il y a bien quelque chose qui dévalorise la vie, c'est bien la souffrance que l'on inflige aux autres… »
Alena Mornštajnová nous montre de manière très authentique comment la vie des Juifs en Tchécoslovaquie avait changé en quelques années.
L'histoire de la vie de la triste héroïne de ce roman fait surgir de nombreuses questions : dans quelle mesure sommes-nous responsables des vicissitudes de nos vies ? Avons-nous le droit de juger les autres, alors qu'on ne sait jamais ce qui a formé un homme, pourquoi il est tel qu'il est, pourquoi il dit ce qu'il dit, quelles sont ses expériences ?
« Ne juge pas ton prochain avant de te trouver à sa place » dit le proverbe !
Cette histoire, qui est basée sur des événements réels, est décrite par Alena Mornštajnová sur un rythme palpitant et avec un grand sens du drame, et en tant que lecteur, on a l'impression de regarder un film fascinant. D'ailleurs, le réalisateur Milan Cizler qui prépare un film basé sur ce roman, a dit à Alena Mornštajnová qu'il était facile pour lui d'écrire le scénario du film parce qu'en lisant son livre, il voyait des images !
Une pièce de théâtre a aussi été adaptée de ce roman, et est jouée par le Théâtre National de Brno -capitale de la Moravie- depuis juin 2019.
Ce très beau roman est écrit avec une fine introspection psychologique.
La plume d'Alena Mornštajnová est indéniablement talentueuse. C'est magnifiquement et respectueusement écrit, et on est littéralement happés par cette douloureuse histoire très forte.
Ce livre, déjà traduit en quatorze langues, a été plusieurs fois récompensé, y compris avec le Prix du livre tchèque en 2018.
On comprend aisément pourquoi l'auteure s'impose comme l'un des principaux écrivains contemporains tchèques.
«
Hana » est une histoire prenante et une démonstration de détermination humaine. C'est pour moi un livre culte et un vrai coup de coeur. Je le recommande vivement et je lui accorde un évident 5/5 !