Il arrive subrepticement, s'installe insidieusement, devient omniprésent, trouve sa place et s'y accroche. de bruit de fond, il se transforme en un passager clandestin de moins en moins furtif. Il devient ubiquité, prenant la tête, nimbant le cerveau d'un halo sonore qui l'obnubile, entravant peu à peu les facultés mentales, obscurcissant l'esprit. Les pensées se focalisent sur lui, mettant en arrière-plan les autres sons, grippant la machine à penser. La capacité de concentration se dégrade, des douleurs apparaissent, réelles ou fantômes. Aucun répit, aucun temps mort, aucune plage de repos. L'esprit doit trouver une échappatoire, tentant de masquer, d'atténuer ce qui est là, juste le temps de quelques minutes, de quelques secondes. Pour ne pas devenir fou.
Jordan Tannahill décrit la descente aux enfers de Claire Devon, une femme qui semblait pourtant avoir les pieds sur terre et la tête sur les épaules. Jusqu'à ce qu'elle perçoive un
Infrason, qu'elle est seule à entendre dans son entourage. Personne ne la croit. Cette présence à peine perceptible au départ, devient vite une obsession et va lui faire perdre patience, perdre le Nord, perdre les pédales. Et détruire sa vie.
C'est elle qui raconte son calvaire et sa chute dans les limbes, à côtoyer la folie. Une écriture à la première personne, un livre dans le livre, pour raconter l'enchaînement des événements pour se retrouver en première page de tous les médias, jusqu'à se retrouver transformée en mème partagé à l'infini sur internet.
C'est l'histoire d'une chute, d'une manipulation et d'un emballement, vécus de l'intérieur. Un seul point de vue, donc sujet à caution, mais Claire fait tout pour qu'on la croie sur parole.
Elle se présente comme une femme solide, à la vie établie, terre à terre, loin de toute croyance, athée. Vue ainsi, on peine à croire qu'elle puisse être facilement influencée. Jusqu'à ce son, jusqu'à ce qu'elle rencontre d'autres personnes qui disent l'entendre pareillement. C'est le salut qu'elle voit devant elle, à trouver des oreilles attentives à ce bruit et ses répercussions physiques, personnelles et sociétales.
Ce roman, sous forme de témoignage, n'est pas le récit de cet
Infrason. Ce groupe de personnes va chercher la cause, une personne en particulier va en proposer une hypothèse « scientifique », mais c'est bien de la vie brisée de Claire dont il s'agit. Et en toile de fond des sujets puissants : la manipulation de masse, mais aussi l'enfièvrement des médias et des autorités. Chaque camp perçoit l'autre comme déviant.
A cause inconnue, pensée corrompue. L'occasion pour l'écrivain de décrire une accumulation de circonstances qui vont faire dérailler la situation et les personnes. En développant de nombreux concepts, de la théorie du complot à l'enfermement sectaire, en passant par les débordements médiatiques. Un grain de sable, un simple son, peut gripper l'ensemble du système.
Quand on est assourdi, difficile d'entendre l'autre. Difficile d'écouter ceux qui perçoivent différemment de nous.
L'auteur, avec une plume alerte, parfois un brin caustique, développe principalement la psychologie autour de cette catastrophe humaine en cascade. Une quête de sens dans une société qui le perd, à comprendre pourquoi l'un des cinq sens s'en trouve altéré.
Le roman est assez inclassable, entre témoignage et thriller psychologique, avec un soin particulier apporté aux ressentis de Claire. En décrivant parfaitement, à travers ses yeux, comment perdre le contrôle de la situation.
La grande force du livre tient à la finesse de l'analyse du contexte comme de la psychologie des personnages, durant 350 pages qui s'écoulent rapidement et résonnent durablement.
Infrason est un livre atypique, qui sort du lot, où
Jordan Tannahill susurre son récit à travers les pensées de son personnage principal. Un récit assourdissant, sacrément bien mené.
A noter que c'est l'une des dernières traductions du regretté
Fabrice Pointeau, qui a produit comme toujours un travail d'orfèvre.
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