Le roman policier emmène fréquemment le lecteur à la morgue, le résultat d'une autopsie permet d'orienter une enquête. Il s'agit de brèves visites, de courtes scènes parfois gore. le roman «
Nécropolis » d'
Herbert Lieberman faisait exception avec un médecin légiste comme personnage principal. Désormais il faut compter avec Cassandra Raven de la morgue de Camden.
L'auteure A. K. Turner a réussi à créer un véritable univers avec des personnages à la psychologie complexe, une enquête qui sort de l'ordinaire et qui laisse de la place pour approfondir plein de sujets. La réussite est totale, c'est distrayant, émouvant et rude à la fois, riche en suspense et en rebondissements. J'aime lorsque l'auteure parle de Camden que j'ai visité, cela a ravivé des souvenirs et des sensations et pas seulement le marché, les graffs et le fish and chips de chez Poppies. Camden est un personnage à part entière de cette première incursion de Cassandra ( plus couramment appelée Cassie ) dans le monde du polar ( et il y en a d'autres à traduire pour notre plus grand plaisir ! ).
Cassie est technicienne senior en anatomopathologie à la morgue de Camden. Pour faire simple, elle est technicienne mortuaire, prépare et dissèque les cadavres puis un médecin légiste établit un diagnostic éventuellement aidé par les résultats d'analyses toxicologiques. Tout est très bien expliqué, de manière simple et il est instructif de suivre le quotidien de cette structure du NHS, le système de santé publique du Royaume Uni. Il y a un chef très humain, des débutants qui font des erreurs et des personnels expérimentés. Cassie a cinq ans de pratique et elle a acquis un solide savoir-faire qui lui permet de repérer des indices qui parfois passent inaperçus aux yeux des pathologistes. Ce quotidien est un fil conducteur solide du récit que l'auteure raconte de manière passionnante. Cassie entretient des liens particuliers avec les cadavres sans jamais oublier qu'il s'agit de ceux d'êtres humains qu'il convient de respecter autant que les familles endeuillées. Cassie n'hésite pas à parler aux cadavres et il lui semble qu'ils lui répondent. le quotidien professionnel de Cassie est fait de relations humaines qu'elle assume avec beaucoup d'empathie. Il est fait aussi d'un cadavre qui disparaît, tout simplement incompréhensible ! Et puis il y a les corps de personnes que Cassie a connue. Lorsque le cadavre de Madame Geraldine Edwards arrive à la morgue, c'est tout le passé de Cassie qui refait surface.
Cassie est orpheline, élevée par une grand-mère exceptionnelle qu'elle aime revoir, heureusement qu'elles sont presque voisines. Cassie a commencé sa vie d'adulte dans la marginalité. La liberté dans des squats avec l'alcool et la came. C'est grâce à Geraldine qu'elle s'en est sortie, ses cours particuliers pour réussir ses A-levels. de son passé d'errance, Cassie a gardé un look gothique qui déchire et des amis restés dans la détresse qu'elle croise dans les rues de Camden et qui ne l'ont pas oubliée. Kieran en fait partie et lui apporte une aide désintéressée notamment pour prouver son innocence dans l'affaire d'un cadavre disparu à la morgue.
Cassie est convaincue qu'il y a quelque chose qui cloche dans le décès de celle dont le corps sans vie est désormais étiqueté « Madame E ». Elle entame des recherches à la limite de la légalité mais cela cadre avec sa personnalité à la fois rebelle et franche. Prudence s'impose car elle fait elle-même l'objet d'une enquête suite à la disparition d'un cadavre. Pour la lieutenante Phyllidia Flyte de la Crim', Cassie est la coupable évidente et idéale. Cassie n'aime pas la police, pas facile de supporter des interrogatoires et encore moins de solliciter un approfondissement sur les causes du décès de Madame E. Cassie, expansive et sensible, face à Flyte, énigmatique, glaciale et solitaire. Qu'est-ce que c'est bien imaginé et très bien raconté ! Les chapitres s'enchainent logiquement en alternant les points de vue de ces deux personnages féminins que tout oppose. Il y a du suspense, des rebondissements et même de l'action mais tout est crédible car l'auteure reste simple en mettant en scène des suspects bien dans leur rôle parmi les proches de Madame E. Cassie est persévérante, observatrice, avec le brin de chance de l'enquêtrice débutante. Flyte est une flique perspicace qui va réussir à dépasser ses préjugés mais juste ce qu'il faut.
Voilà un roman comme je les adore, AK Turner fait preuve de grandes qualités de narration. Ses énigmes sont bien ficelées, son style percutant, ses personnages attachants ou agaçants et elle révèle une vision lucide et intelligente d'une banlieue londonienne aux visages contrastés.
A K. TURNER – Body language. Titre original « Body language », Angleterre 2020. Traduit de l'anglais par
Claire Breton pour les Éditions Alibi, ISBN 9782491507695. Réédition le 29 mars 2023 en poche, le Livre de Poche ISBN 9782253243885 .
Présentation éditeur : Londres, quartier de Camden. Technicienne à la morgue, Cassie Raven prépare les corps et assiste le médecin légiste. Revêche, elle coche en outre plusieurs cases du stéréotype de la fille bizarre : gothique, criblée de piercings, tatouée… Et persuadée que les morts nous parlent – si on sait les écouter. Un matin, elle trouve comme « cliente » une ancienne prof qui l'a aidée à sortir de la drogue. Officiellement, un décès accidentel par noyade. Cassie, elle, croit plutôt à un assassinat. Mais comment le prouver quand on n'a pas la cote auprès de la police et qu'on a sur le dos la glaciale lieutenante Flyte, qui vous suspecte d'avoir volé un cadavre ?
Le premier volet d'une trilogie décalée, portée par une héroïne charismatique et attachante.
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